(Photographie à la Une : M. Hilaire Lamizana, Directeur général du Port autonome de San Pedro © PASP)
Le Port autonome de San Pedro (PASP) est l’une des principales infrastructures économiques construites après l’indépendance de la Côte d’Ivoire. La construction du port de San Pedro faisait partie du programme de développement intégré initié dès les années 60 par le Gouvernement ivoirien pour réduire les disparités régionales en créant un pôle de développement au Sud-Ouest de la Côte d’Ivoire et servir de port de transit pour les pays limitrophes sans littoral (Mali, Guinée forestière, Est libérien). Aujourd’hui, il est le tout 1er port d’exportation de cacao au monde avec plus d’un million de tonnes et de manière plus générale le second port de la Côte d’Ivoire pour le trafic de marchandises. Collaborant étroitement avec la municipalité sur toutes les questions d’aménagement, le PASP est confronté à des défis de gouvernance liés au caractère récent de la ville. De nombreuses initiatives inspirantes y sont envisagées, en cohérence avec l’objectif « Gouvernance renouvelée » de l’Agenda 2030 AIVP. C’est pourquoi nous avons tenu à nous entretenir avec M. le Directeur Général, Hilaire LAMIZANA.
Le Port Autonome de San Pedro est adhérent de l’AIVP depuis 2002.
Une participation aux « Ateliers de Cergy »
AIVP – Le PASP a participé activement aux réflexions intitulées « De la cité portuaire à la métropole côtière » sur l’année 2020. Celles-ci étaient organisées par l’ONG « Ateliers de Cergy » en lien avec la municipalité de San Pedro et les acteurs locaux. L’idée était de réfléchir conjointement à la future planification urbaine, consultant chaque acteur local, des communautés de pêcheurs aux services portuaires.
Quelle conclusion tirez-vous de la réflexion « ville-port » organisée avec les Ateliers de Cergy ?
Hilaire LAMIZANA, Directeur Général, Port Autonome de San Pedro – Je voudrais, tout d’abord, vous remercier pour l’opportunité que vous donnez au PASP, membre de l’AIVP depuis 2002, de s’exprimer sur les relations ville-port. Vous me permettrez ici de rappeler que le port de San Pedro est une infrastructure fondamentale de croissance et de développement au Sud-Ouest de la Côte d’Ivoire. Nos activités, issues des plans d’entreprise périodiques matérialisant la mise en œuvre de notre schéma directeur de développement des infrastructures, sont en adéquation avec la stratégie du gouvernement ivoirien dans le secteur maritime et portuaire.
Cependant, des décennies après la mise en exploitation du port, des travaux mettent souvent en évidence des tensions ou dissensions entre les prérogatives du PASP pour développer ses activités et les nécessités pour la ville d’évoluer et d’améliorer la qualité de vie des habitants. En effet, ouvert sur le monde et contraint à affronter une concurrence internationale de plus en plus accrue, le port de San Pedro évolue dans une logique privée de rentabilité. Alors qu’en pleine mutation, avec des besoins criants de nouveaux logements, d’infrastructures et de services publics, la ville de San Pedro bouge très vite (en référence à sa population estimée à plus de 300 000 habitants aujourd’hui contre 40 à la création de la ville) mais dans une logique différente, tournée vers des exigences internes.
Ayant perçu ces éventuelles divergences d’une part, et tenant compte de la vocation du port de San Pedro telle que définie d’autre part, les Autorités portuaires se sont engagées ces dernières années à faire converger ces deux logiques pour qu’émerge une symbiose entre la ville et le port, indispensable à l’ancrage territorial des entreprises et des activités et à l’instauration d’un processus durable de développement. Ces engagements sont perceptibles à travers les ambitions, axes stratégiques, objectifs généraux et spécifiques ainsi que les actions des plans d’entreprises périodiques 2003-2005 ; 2007-2009, 2013-2015 et 2017-2022.
Bien donc avant la tenue des Ateliers Cergy en 2020, le Port Autonome de San Pedro s’était déjà engagé à traiter toutes les problématiques liées au développement de la ville de San Pedro et du port de San Pedro ; deux entités représentant les deux faces d’une même médaille. Les Ateliers Cergy ont ainsi permis de consolider et de redynamiser notre excellente relation avec la municipalité de San Pedro.
La concertation sur l’aménagement du territoire
AIVP – La municipalité de San Pedro a présenté plusieurs grands projets d’aménagement, dont une zone industrielle à l’Est en connexion avec le port, ou encore la rénovation du quartier Seweke, historiquement lié aux travailleurs portuaires. Dès 2019, Monsieur le Directeur Général a fait part de sa volonté d’harmoniser le schéma directeur d’aménagement du port avec celui de la ville. Cette idée est très pertinente aux yeux de l’AIVP, en lien avec l’objectif 4.2. de notre Agenda : une concertation continue et pérenne !
Sur les projets d’aménagement, comment vous concertez-vous avec la municipalité de San Pedro ?
Hilaire LAMIZANA, Directeur Général – Il faut déjà noter que le développement du port de San Pedro ne saurait se faire en marge du Plan d’Urbanisme Directeur (PDU) de la ville de San Pedro. Ce qui présage une excellente qualité de la relation entre le Port Autonome de San Pedro et la Municipalité de San Pedro pour un développement harmonieux.
Et pour ce faire, en tenant compte du fait que le portefeuille de projets portuaires et urbains est bien garni dans tous les secteurs d’activités pour les deux entités, nous sommes partis des constatations suivantes pour mettre en place une plateforme collaborative ville/port indispensable au développement socio-économique :
- le port de San Pedro et la ville de San Pedro sont deux entités historiquement indissociables ;
- l’évolution du port de San Pedro a souvent conduit à l’émergence de conflits d’usage bloquant à la fois la dynamique du port et les exigences légitimes de la ville ;
- la confrontation entre le port de San Pedro et la Mairie de San Pedro, aux logiques de fonctionnement différentes voire opposées, oblige à reconfigurer les proximités lorsqu’il s’agit de mettre en place un processus de développement durable ;
- de la proximité géographique statique il faut passer à une proximité organisationnelle et institutionnelle plus dynamique avec des projets fédérateurs dans le cadre desquels chaque entité pourra davantage librement exprimer son identité ;
- il est impératif que le port et la ville de San Pedro fédèrent leurs énergies à travers une plateforme collaborative qui sera le fer de lance d’une relation ville/port plus dynamique et profitable à tous.
Le point de mire de cette plateforme collaborative est que les activités du port consolident les activités de la ville et que le statut de la ville sert les intérêts du port. À travers donc ce cadre de concertation, toutes les problématiques liées au développement de la ville et du port de San Pedro sont traitées au cours des rencontres institutionnelles et techniques entre les deux parties.
Gérer conjointement les forêts, les rivières et le front de mer
AIVP – Dans une ville comme San Pedro, originellement créée autour d’un port, l’articulation des fonciers portuaire et urbain devient encore plus indispensable. Une gouvernance « Ville-Port » élargie permet de relever des défis comme la gestion des eaux dans les zones lagunaires ou lacustres, ou encore que la gestion des forêts partiellement présentes sur la circonscription du PASP. L’objectif 4.5. de l’Agenda 2030 AIVP est justement la « politique foncière équilibrée » entre usage urbains et port actif.
Comment gérer efficacement le foncier, notamment pour les forêts ou les bords de rivière et de mer ?
Hilaire LAMIZANA, Directeur Général – Dans les villes portuaires, les conflits d’usage sur l’occupation des sols peuvent conduire à l’émergence de nombreux projets de ports plus à l’écart des villes.
En effet, l’expérience a montré que la gestion des espaces urbains et portuaires implique la prise en considération de visions ou d’approches de développement pas nécessairement compatibles. Assurer le développement d’un port, d’une ville ou d’une région exige d’ancrer des investissements sur des espaces fonciers rares, chers et souvent fragiles. À cette problématique économique, s’ajoutent les considérations écologiques qui complexifient davantage la mise en oeuvre des politiques des acteurs du développement sur le même espace. Il n’est pas rare de voir des projets portuaires connaitre des blocages suite aux éventuels impacts négatifs sur la population et l’environnement.
Alors que l’accroissement des activités du port de San Pedro passe nécessairement par un développement de son domaine. L’interdépendance entre le port de San Pedro et son domaine implique que le développement de ce dernier doit répondre à un impératif sociétal en plus d’une orientation purement économique. En fait, l’impact humain qu’ont les décisions du PASP constitue un enjeu majeur pour son avenir. Il est alors essentiel pour le PASP de mettre en place des mesures précises pour limiter les conséquences négatives sur la population de son travail de viabilisation et d’exploitation du domaine portuaire.
Conformément donc au décret n°2013-41 du 30 janvier 2013 relatif à l’Évaluation Environnementale Stratégique des Politiques, Plans et Programmes de la République de Côte d’Ivoire, une étude portant Évaluation Environnementale Stratégique (EES) de l’aménagement du domaine portuaire de San Pedro est actuellement engagée. Les conclusions et recommandations de cette étude permettront d’organiser l’aménagement et l’implantation des unités industrielles et commerciales, au regard des risques identifiés tout en intégrant l’ensemble des écosystèmes présents sur le domaine portuaire.
Des poches de forêts et des zones humides seront délimitées pour être préservées et favoriser le maintien de la biodiversité et permettre la bioépuration. Les opérations de planting d’arbres, en compensation des aires détruites seront menées, les types d’aménagements des bords fluviaux et maritimes seront analysés et réalisés, en fonction des conclusions de l’EES, de manière à protéger les populations avoisinantes.
En outre, au-delà de seulement limiter les incidences dommageables sur le domaine et ses habitants liées au développement de l’activité portuaire, il est important pour le PASP de construire des programmes et projets qui impliquent les populations locales avec un grand effet d’entrainement positif sur leurs conditions de vie.
Il est également important de noter que l’ambition de l’Autorité portuaire ne pourra se concrétiser qu’avec une relation saine et mutuellement bénéfique entre le port de San Pedro, ses clients et les habitants de la ville. Il faut nécessairement obtenir une convergence de vue dans l’occupation du foncier pour garantir la durabilité du développement des deux entités. Et pour favoriser ce processus de convergence, les deux entités doivent se rapprocher fonctionnellement, ce qui se fait déjà à travers le cadre de concertation mis en place et qui permet d’engager des réflexions de fond sur un partenariat ville-port redynamisé.
Un rôle sociétal pour le port
AIVP – Plusieurs prix ont distingué le PASP comme une autorité portuaire responsable, sachant se tenir aux côtés de la société civile. En 2020, le prix SAWA et le prix des transporteurs maritime d’Afrique de l’Ouest. De plus, le port est partenaire du festival Sewe, chaque année, ainsi que du programme local d’autonomisation des femmes.
Comment qualifierez-vous votre action auprès de la société civile ?
Hilaire LAMIZANA, Directeur Général – Conformément à la nouvelle ambition de l’Autorité portuaire de faire du port de San Pedro « Le pôle Ouest africain du développement industriel et logistique, à forte valeur ajoutée », le PASP réaffirme sa volonté à faire « jouer pleinement le rôle sociétal du port dans sa région » en mettant en oeuvre des politiques de développement environnemental et social durables, en collaboration avec les autres organisations communales, régionales et nationales.
L’un des chantiers relatifs à cet axe stratégique est la promotion de la Responsabilité Sociétale de l’Entreprise. L’Autorité portuaire s’engage ainsi à renforcer les actions sociétales du PASP vis-à-vis de sa zone d’influence à travers une synergie d’actions dans le cadre de la construction et la réhabilitation d’infrastructures sociales, la mise en oeuvre de programmes et projets de réduction de la pauvreté, la consolidation de la paix et de la cohésion sociale dans la région de San Pedro.
Pour le traduire, des contributions significatives sont régulièrement apportées aux structures déconcentrées et décentralisées, aux groupements socio-professionnels, religieux et associatifs, au programme conjoint de réduction de la pauvreté dans la région de San Pedro, aux ONG et aux populations civiles à travers des actions majeures à impact direct. Il s’est agi essentiellement de : construction d’infrastructures sociales ; aides et dons de matériels et d’équipements aux structures sanitaires, éducatives, sportives ; parrainages, mécénats ou sponsorings.
Spécifiquement, la contribution du port de San Pedro a été significative dans la gestion des crises sanitaires : la maladie à virus Ebola et la maladie à Coronavirus 2019 (COVID-19). Pour cette dernière pandémie, qui s’est très vite muée en crise sociale et économique, l’efficacité du Port Autonome de San Pedro a permis de contenir les effets négatifs de ladite pandémie sur l’activité portuaire. Il s’est agi notamment : du respect des mesures édictées par les autorités ; de la prise de décisions relatives au bon déroulement de l’activité portuaire pendant la période critique et du don de 50 millions de FCFA en matériels de lutte contre la maladie.
Il faut le retenir, les actions menées par le Port Autonome de San Pedro dans le cadre de l’intensification de l’action sociale ont eu un impact large et rapide car ayant permis de répondre aux attentes exprimées par les populations de la zone, notamment la ville. Elles ont donc renforcé le rôle du port de San Pedro en sa qualité de pôle de développement de l’Ouest de la Côte d’Ivoire. Le couronnement de nos actions a été l’obtention du prix BICOM du meilleur acteur du développement social de l’année 2020.