Rijeka a été choisie comme Capitale européenne de la culture 2020. Elle propose dans ce cadre un très riche programme de plus de 600 événements culturels et artistiques, et accueille tout au long de l’année des artistes croates et du monde entier. Rijeka est également le premier port de Croatie et ce choix de Rijeka comme capitale culturelle européenne vient d’ailleurs après celui d’autres villes portuaires européennes au cours des années précédentes. Cette identité spécifique a été placée au cœur du programme établi par Rijeka, un choix qui fait écho à l’objectif 6 de l’Agenda AIVP 2030 sur la valorisation de la culture et de l’identité propres aux villes portuaires. Nous avons dès lors souhaité en discuter avec Monsieur Vojko Obersnel, Maire de la Ville de Rijeka.

La Ville de Rijeka est membre de l’AIVP depuis 2003.

Elle est membre du Conseil d’Administration de l’AIVP, et elle est signataire de l’Agenda AIVP 2030.

Le Port de Rijeka est également membre de l’AIVP.

AIVP – Vous avez inscrit votre programme Rijeka Capitale européenne de la culture 2020 sous l’intitulé de « Port de la diversité« . L’un des évènements majeurs lors du lancement en février dernier de ce programme a été l’ »Opera Industriale ». Il s’est déroulé sur le site du terminal passagers et le port en était un partenaire officiel. Ce sont des symboles forts de l’importance que vous accordez à l’identité portuaire de votre ville.
Quels sont, en quelques mots, les principaux éléments de cette identité, de cette diversité ?

Mr Vojko Obersnel, Maire, Ville de Rijeka – Le port et la diversité sont deux facteurs déterminants de l’identité de Rijeka, à tous points de vue. Ces deux concepts reflètent ce que nous sommes en tant que ville, c’est-à-dire en tant que milieu urbain mais aussi en tant que société. Lui-même symbole de changement et de migration, le port est le noyau central de la ville, le cœur de Rijeka. La ville actuelle s’est construite à partir de son port, lequel a attiré une main d’œuvre venue des quatre coins du monde, autre élément constituant de notre identité actuelle. Par ailleurs, ce sont les habitants de Rijeka qui composent le tissu vivant d’une ville qui, au fil de l’histoire, a connu des bouleversements permanents. Rien qu’au cours du XXème siècle, Rijeka a été placée sous l’autorité de six États, sans compter les États provisoires ni les administrations militaires. À cet égard, peu de villes dans le monde peuvent être comparées à Rijeka, et on aura noté avec quelle dynamique celle-ci change de langue officielle et de pavillon national.

Néanmoins, et probablement en bonne partie à cause de cela, le fait de savoir que la ville est essentiellement habitée par une population ayant expressément élu domicile à Rijeka, est à l’origine d’une caractéristique importante, une mentalité particulière qui fait que les habitants de Rijeka respectent la diversité et la considère réellement comme leur richesse. En application du principe selon lequel chacun peut jouir de sa liberté tant qu’il n’entrave pas celle d’autrui, Rijeka est aujourd’hui une ville multiculturelle et multiethnique, où toutes les diversités sont prises en compte voire encouragées. Rien n’en témoigne mieux que les nombreux courants artistiques alternatifs qui ont vu le jour à Rijeka. Le port lui-même, qui symbolise en quelque sorte les départs, est devenu, depuis le lancement du programme Rijeka Capitale européenne de la culture 2020, une destination, un point de confluence. Le territoire du port de Rijeka, qui englobe tout le littoral de la ville, occupe une place importante dans ce programme.

Les programmes artistiques ont été prévus dans cette zone de transition, sur le front de mer, occupé actuellement par des infrastructures industrialo-portuaires, là où la ville vient à la rencontre de la nature. C’est l’endroit idéal pour un renouveau de Rijeka. En tout cas, le syntagme « Port de la diversité » n’est pas ambigu, il est au contraire riche en connotations. L’ensemble du programme culturel et artistique Rijeka 2020 – Capitale européenne de la culture est articulé autour de trois thèmes : l’eau, le travail et les migrations. Ces thèmes, qui définissent l’identité de Rijeka, sont souvent repris à l’échelle plus large de l’Europe. Ils s’entremêlent pour créer un port de la diversité.

Enfin, le « Port de la diversité » fait évidemment écho à la devise de l’Union Européenne « Unité dans la diversité ».

AIVP – « Sweet and salt » : « Là où l’eau douce de la rivière rencontre la mer et son eau salée » est l’un des thèmes phares de votre programme. Derrière cet intitulé poétique, ce programme veut aussi initier la transformation d’une zone entre Ville et Port où sont présentes de nombreuses infrastructures industrielles et portuaires délaissées, notamment « Exportdrvo » un ancien entrepôt. En quoi l’identité portuaire passée est-elle selon vous un plus pour créer ces nouveaux lieux et y attirer les citoyens ? Et comment sera-t-elle exploitée ?

Mr Vojko Obersnel, Maire, Ville de Rijeka – La grande halle de l’entrepôt Exportdrvo situé dans le delta de Rijeka, à l’embouchure du fleuve Rjecina, a été dédiée à la culture et au divertissement tout au long de l’été, illustrant la façon dont on peut faire revivre le patrimoine industriel et portuaire pour en faire un lieu de rencontre. Cette halle s’est avérée être un excellent lieu d’exposition ayant accueilli pas moins de cinq expositions simultanément à un moment donné.

Elle abrite actuellement, et jusqu’à début décembre, la grande exposition « Fiume fantastica: The City Phenomena ». Cette exposition, qui ne comporte pas moins de 10 pavillons, retrace les 150 dernières années de l’histoire de la ville de Rijeka, le développement radical qu’elle a connu avant de devenir une plaque-tournante du transport et un pôle industriel de rang mondial. C’est aussi la principale exposition du programme « Sweet and Salt« , développé dans le cadre du projet Rijeka 2020 – Capitale européenne de la culture.

L’espace situé face à l’entrepôt a été converti en salle de concert à ciel ouvert, très approprié pour satisfaire aux règles de distanciation sociale imposées en raison de la pandémie de Covid-19.

En outre, « Sweet and Salt » a redonné vie à la digue de Molo longo qui s’étend sur presque 2 km. Un espace culturel un peu particulier s’est improvisé dans l’ancienne papeterie Hartera, et je pense que notre projet de tyrolienne la plus longue d’Europe, qui se prolongera jusqu’au delta, va voir le jour malgré la pandémie – pour ne citer que quelques-unes des activités programmées.

La régénération du patrimoine industriel et portuaire de Rijeka était un objectif essentiel de la Stratégie de développement culturel 2013-2014 de la ville de Rijeka, la première en son genre en Croatie. Rijeka, cité industrielle florissante au siècle dernier, a su préserver son patrimoine industriel après l’arrêt des activités industrielles. Un parcours commun à de nombreuses villes européennes. Ces objectifs stratégiques ont tracé les contours de la nouvelle ville de Rijeka, dont l’économie, compétitive, est fondée sur une société de la connaissance et les nouvelles technologies. Cette stratégie de développement culturel, de même que notre stratégie pour le développement du tourisme culturel, ont bien sûr été développées autour de ces objectifs stratégiques. À cet égard, l’obtention du titre de Capitale européenne de la culture nous a effectivement offert une occasion unique d’agir en synergie pour la réalisation de ces objectifs. Grâce au programme « Sweet and Salt », toute la zone du delta a vu converger experts, étudiants, artistes et citoyens venus de toute l’Europe.

À l’origine de tout, le DeltaLab : un centre de production et de recherche multidisciplinaire de l’Université de Rijeka ayant réuni 17 équipes composées d’architectes et de designers chargés de concevoir 16 aménagements de l’espace en vue de l’intégration du site de « Sweet and Salt » à la trame urbaine, ou bien de créer de nouveaux lieux de rassemblement. Des scientifiques, des experts et des artistes venus de tout le pays et d’ailleurs, plusieurs organisations et de nombreux représentants des secteurs public et privé se sont joints à eux. Tous ont participé à la planification du programme développé dans l’estuaire.

AIVP – Certains des aménagements lancés pendant « Sweet and Salt » et dans son prolongement permettront-ils également de donner à voir le port de Rijeka et ses activités ?

Mr Vojko Obersnel, Maire, Ville de Rijeka – Pas directement, mais de nombreux efforts ont été déployés pour renforcer l’attractivité du port. Pendant longtemps les habitants de Rijeka n’ont pas eu accès à presque 8 kilomètres de front mer situés à proximité de la ville, là où étaient concentrées la plupart des activités industrialo-portuaires. À cette époque, la côte était tout simplement réservée à l’industrie et aux activités portuaires, pas aux citoyens. L’environnement économique et social local est en train de changer. Les habitants ont vu plusieurs programmes culturels se dérouler sur ces sites et pour la première fois ils ont pu saisir l’énorme potentiel que représentent les entrepôts abandonnés, les anciens quais, les plages naturelles, parmi tant d’autres.

Molo longo, une nouvelle promenade devenue très populaire, a accueilli un programme pour les enfants cet été 2020

Depuis le port, depuis ce point de vue-là, on appréhende la ville différemment, en ce sens que son potentiel pour améliorer la qualité de vie des habitants est mis en évidence, mais aussi parce qu’on comprend pourquoi elle doit absolument préserver son port. Ainsi, indirectement, on valorise davantage le port et les activités portuaires. Ce qui nous place dans une logique gagnant-gagnant lorsqu’il s’agit de négocier avec les autres parties prenantes la façon de repenser tout le littoral.

AIVP – Le contexte actuel de la pandémie du Covid 19 rend plus difficile de se projeter au-delà de 2020. Mais vous aviez peut-être déjà envisagé d’autres actions s’appuyant sur l’identité portuaire de Rijeka, éventuellement en coopération avec le Port de Rijeka. Je pense par exemple à des initiatives telles que la création d’un Port Center comme il en existe désormais dans plusieurs des villes portuaires membres de l’AIVP. Pouvez-vous nous en dire plus sur les actions que vous avez programmées, et sur la façon dont vous allez, peut-être, les adapter ?

Mr Vojko Obersnel, Maire, Ville de Rijeka – C’est vrai que la pandémie du Covid-19 a souvent fortement influencé la dynamique de mise en œuvre de nos projets, que ce soit à court terme ou à long terme. L’ouverture de Rijeka sur la mer est un projet de longue date, mais la réalisation de cet objectif n’est pas facile. En raison de modifications législatives, de l’entrée de la Croatie dans l’Union Européenne et des crises économiques mondiales, le modèle de réalisation du projet a sans cesse été modifié. En ce qui concerne l’ouverture de la ville sur la mer, il convient de mentionner le projet Rijeka Gateway. Un projet comme celui-ci qui engage plusieurs générations devrait à terme profondément modifier le waterfront de Rijeka. Plus particulièrement, le projet prévoit, entre autres, la construction d’une nouvelle marina en centre-ville, dans un secteur du port délaissé. Est également prévu l’aménagement de la zone du delta, le secteur autour d’Exportdrvo dont on a parlé plus haut, appelée à devenir un deuxième centre-ville. En un mot, l’idée qui sous-tend ce projet d’investissement pour le réaménagement des bassins de Rijeka, une ambition largement au-dessus des moyens de la Ville, est de contribuer à renforcer la compétitivité du port et de la route maritime, de modifier la structure de l’économie et de faire de Rijeka une destination touristique encore plus attractive.