Vous avez actuellement deux initiatives pour décarboner le secteur maritime, quelles sont-elles ?
La première initiative est la mise en place d’un corridor vert entre les ports de Dunkerque, Calais (France) et Douvres (Royaume-Uni). Il s’agit d’une chaîne maritime décarbonée transmanche, entre les ports du détroit en partenariat avec DFDS, leader en Europe du transport par ferries. Nous avons signé un Mémorandum of Understanding (MoU) il y a quelques mois. Il s’agira pour DFDS de concevoir, construire et mettre en service des ferries électriques. Et il s’agira pour les ports partenaires de Douvres, Calais et Dunkerque, de mettre en œuvre l’infrastructure électrique pour pouvoir charger les ferries pendant les opérations commerciales. Après il y a la question du modèle économique, c’est à dire que le modèle opérationnel des ferries est de ne pas passer plus de 40 minutes en escale commerciale. Aujourd’hui c’est une durée incompressible compte tenu de la taille des navires. Dans le cas de navires électriques, en plus de charger/décharger les navires, il faudra les recharger en électricité. DFDS réfléchit donc à la bonne adéquation entre la taille du navire et le temps passé à quai. Si on réduit la taille du navire, on peut passer moins de temps à quai parce que ça va plus vite à charger, décharger, mais ça laisse moins de temps pour recharger les batteries du bateau.
La technologie est en cours d’optimisation. Il convient de trouver le bon équilibre entre le modèle environnemental, technologique et économique. Une réflexion est menée entre DFDS, Dunkerque-Port et l’architecte naval. L’objectif pour l’opérateur est de lancer un prototype à l’horizon 2029-2030.
Concernant le transmanche, à part les autorités portuaires et DFDS, est ce que vous êtes en aussi en lien avec les autorités locales, avec d’autres types d’acteurs de votre écosystème?
Dunkerque-Port est en contact avec RTE, avec Enedis, pour le sourcing électrique et tous les opérateurs logistiques pour la partie suivante de la chaîne logistique, notamment l’organisation du multimodal. On a une volonté de développer l’activité et d’organiser un report modal. Des opérations de ferroutage sont mises en place à Calais. A Dunkerque, un terminal sera opérationnel à la fin de l’année 2025.
Le partenariat a été signé en mars 2023, où en êtes-vous actuellement ?
Dunkerque-Port réalise les études préliminaires pour pouvoir alimenter les quais de DFDS en électricité. Le Port de Dunkerque a été un des premiers ports européens à installer le branchement électrique à quai (cold ironing), il s’agit maintenant de proposer la recharge de bateaux électriques.
Est-ce que vous allez vous focaliser sur les ferries ou est-ce que vous pensez à étendre votre ambition à d’autres types de navires, d’autres lignes ?
Le ferry, par définition sur du Transmanche, a des rotations rapides. Il y a un ferry toutes les 2h, qui rentre et qui sort pour assurer la liaison entre Dunkerque à Douvres, 7 jours sur 7, 24h/24. C’est cette fréquence importante avec de nombreuses escales qui justifie de tels investissements. Actuellement, la technologie ne permet pas d’envoyer des navires électriques plus loin que de l’autre côté du détroit, vers l’Irlande par exemple qui est une des autres liaisons DFDS depuis Dunkerque. On ne l’imagine pas encore sur d’autres trajets.
Qui est à l’origine de ce projet ?
C’est une volonté affichée de l’opérateur DFDS de décarboner sa chaîne de transport et qui a finalement franchi un grand pas. C’est le seul opérateur de ferry qui soit présent dans les trois ports. D’autres compagnies ont des réflexions sur la propulsion au gaz naturel liquéfié mais DFDS voulait passer à l’électrique. DFDS a déjà équipé ses navires de scrubber pour capter les émissions de particules fines, notamment de souffre. Avec sa vision de navires décarbonés, à l’horizon 2030, l’opérateur veut aller plus loin avec l’expérimentation et la mise en place de navires électriques.
Dunkerque-Port s’est associé à l’opérateur pour contribuer à la transition vers la décarbonation du secteur maritime et portuaire.
Est-ce que vous collaborez sur d’autres sujets avec le port de Douvres et le port de Calais?
Nous partageons les bonnes pratiques. Notre collaboration s’est renforcée lors de la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne. Le Brexit a été un élément déclencheur pour que les 3 ports collaborent en matière douanière, en matière de contrôle aux frontières, en matière de contrôle vétérinaire et phytosanitaire. Il a également remis en question le modèle économique du transmanche, basé sur la rapidité de chargement, du déchargement et d’évacuation des marchandises. Il a fallu étudier l’organisation et la durée des escales.
Quelle est votre seconde initiative ?
Pour notre seconde initiative, nous sommes partenaires mais avec un rôle plus secondaire. Il s’agit de la mise en place d’une des premières liaisons décarbonées transocéaniques, entre les Caraïbes et l’Europe continentale. Le port de Dunkerque est devenu le premier port français d’importation de fruits et légumes tropicaux.
La CMA CGM assure la liaison entre la Martinique, la Guadeloupe et le port de Dunkerque pour l’approvisionnement de fruits tropicaux depuis maintenant 25 ans sans interruption, grâce à l’appui des clients chargeurs. Cette ligne s’est ensuite étendue à l’Amérique latine, notamment à la Colombie, le Costa Rica.
L’intention de la CMA CGM est de mettre en place une liaison décarbonée grâce à la construction et à la mise en service de 7 nouveaux navires propulsés au biogaz. Les premiers navires devraient être livrés progressivement en 2024.
Quel est le rôle du port de Dunkerque dans cette initiative ?
Nous participons activement à la décarbonation du transport maritime. Toute la chaîne logistique locale se prépare à ces transitions. Les investisseurs et opérateurs logistiques présents au port de Dunkerque ont réalisé les investissements afin de répondre aux besoins en matière de traitement logistique : déchargement des conteneurs, contrôle qualité, reconditionnement etc., puis livraison vers les mûrisseries. Les opérateurs se préparent à recevoir des volumes supplémentaires car les navires en cours de construction vont avoir une capacité d’emport supplémentaire de 20 % à peu près. C’est tout autant de prises pour les reefers (conteneurs frigorifiques) et d’infrastructure électriques à installer.
L’intérêt de cette ligne, c’est que par transbordement, on va pouvoir toucher d’autres régions de la zone Caraïbe, la Guyane par exemple, et par extension toute la zone périphérique à la zone Caraïbe et en Amérique latine, Équateur, Brésil.
Est-ce qu’il y a une volonté de décarboner la deuxième partie de la chaîne logistique ? Une fois que les navires sont arrivés à Dunkerque, comment se fait la suite de la chaîne modale (Camions électriques, ferroviaire, etc) ?
Les transporteurs routiers orientent progressivement leurs investissements vers des véhicules utilisant des modes de propulsion alternatifs, comme le GNL ou le B100. Il en va de même pour les camions électriques, dont l’autonomie accrue rend maintenant possibles des acheminements de marchandises sur des distances courtes. Au-delà, le transport ferroviaire, notamment via des solutions de ferroutage (chargement des remorques sur wagons) est un solution d’avenir. Nous y réfléchissons, notamment dans le cadre de la gestion des flux sous température dirigée entre Dunkerque et les grandes plateformes de distribution agro-alimentaire françaises.