À Marseille, l’objectif est de créer la ville méditerranéenne durable de demain. La lutte contre les pollutions de l’air liées au transport maritime et aux industries lourdes : de nombreuses solutions sont déjà opérationnelles (GNL, électrification des quais, scrubbers, etc.), d’autres encore expérimentales comme l’hydrogène. Le Port – GPMM est particulièrement mobilisé sur la Transition énergétique et l’économie circulaire, mais le risque de défiance vis-à-vis des ports est réel (notamment pour des activités telles que la croisière). Pour y faire face, les ports ont par ailleurs renforcé leurs dispositifs de concertation, en collaboration avec l’AGAM – Agence d’Urbanisme de l’Agglomération Marseillaise, grâce à une charte Ville-Port et au dialogue Ville-Port. Dans cette interview, nous discutons avec eux des questions liées à ces enjeux liés à cet engagement sur le territoire marseillais.

L’AGAM est un membre actif de l’AIVP depuis 2004

PIICTO, une plateforme d’écologie industrielle

AIVP – Vous aviez publié en 2017 un cahier spécial dédié aux enjeux de l’économie circulaire sur le territoire Ville Port marseillais. Vous y présentiez notamment le projet PIICTO, projet d’écologie industrielle créé en 2014 et piloté par la CCI de Marseille.
Pouvez-vous nous en résumer les principaux éléments et enjeux ?

Xavier MOIROUX, Chargé d’études Economie – AGAM

Xavier MOIROUX, Chargé d’études Economie, Agence d’Urbanisme de l’Agglomération Marseillaise – AGAM – Sur 1 200 ha, la plateforme PIICTO regroupe au sein de la Zone Industrialo-Portuaire – ZIP de Fos, 17 industriels de la chimie, des matériaux et de l’énergie dont Kem One, Lyondell, Bayer, Asco Industries, Elengy, Air Liquide, Solamat Merex, Everé, ou encore GDF Suez. Elle représente 5 millions de tonnes de trafic maritime (6% du trafic total du GPMM – Grand Port Maritime de Marseille) et 3000 emplois.

PIICTO s’est d’abord fait connaître comme laboratoire de l’économie circulaire et de l’écologie industrielle territoriale au sein de la Zone Industrialo Portuaire – ZIP de Fos en s’inspirant notamment des dynamiques d’économie circulaire initiées dans les grands ports industriels du Nord de l’Europe, comme Kalundborg (Danemark) ou Dunkerque. Ces dynamiques reposent sur une logique de mutualisation et d’échange de flux de matière et d’énergie entre les entreprises et avec le territoire.
Plus concrètement, PIICTO a lancé un réseau vapeur, générateur d’une économie substantielle pour ses participants et facteur d’attractivité internationale pour le secteur au sein d’une zone équipée plug and play. Ainsi, l’entreprise chinoise Quechen a déjà choisi de rejoindre la plateforme et 400 millions d’euros d’investissements sont prévus sur la plateforme entre 2020 et 2025.

Piicto @ Grand Port Maritime de Marseille

L’une des particularités de Piicto réside dans l’aménagement d’une pépinière dédiée à l’innovation en matière de transition énergétique : Innovex. Localisée sur 12ha, cette pépinière bénéficie de la présence des industriels de PIICTO et propose aux porteurs de projets dans les filières de la diversification énergétique (CO2, hydrogène, bio-remédiation, power to gas, stockage des ENR, smart grids, bio-raffinage, etc.) de tester leurs pilotes préindustriels.
Aujourd’hui PIICTO, qui s’appuie sur une dynamique collective, s’affirme comme une des principales plateformes industrielles de la Métropole Aix-Marseille-Provence, aux multiples domaines d’activités. Cette plateforme engagée dans l’économie circulaire a pour ambition d’être au cœur de la transition énergétique et constitue un véritable terrain d’expérimentation dans ces domaines pour la région.
Son principal enjeu sera de réussir à allier dynamisme économique et excellence environnementale. Mais aussi de transformer progressivement une expérimentation en matière de transition énergétique et d’économie circulaire en phase industrielle, reposant sur la coordination entre les différents niveaux de décision et les grands acteurs industriels.

Plateforme Piicto © Piicto
Plateforme Piicto © Piicto

Quel impact, quelles évolutions ?

AIVP – Et quel regard portez-vous aujourd’hui sur ce projet, son impact, et ses évolutions éventuelles pour l’optimiser ?

Xavier MOIROUX, AGAM – C’est un projet précieux pour l’avenir, qui place Marseille Fos dans les pas des grands ports industriels d’Europe du Nord en matière d’économie circulaire, mais qui constitue également un enjeu important pour la transition énergétique de la région. De nombreux projets sont engagés dans ce domaine : Jupiter 1000, carbon4pur, etc. Beaucoup concernent l’hydrogène (kem one qui est située sur la plateforme produit déjà 10000 tonnes d’hydrogène par an) avec notamment le passage nécessaire de l’hydrogène gris à l’hydrogène vert.

Kem One Fos © Piicto

PIICTO est également un formidable vecteur de dynamisme économique et d’innovation sur la Zone Industrialo Portuaire, qui rejoint ainsi les autres territoires d’innovation de la métropole, en particulier dans le domaine de la transition énergétique.
Il insuffle une nouvelle dynamique industrielle à la ZIP qui peut être perçue comme un conservatoire pour les hydrocarbures et l’industrie lourde synonyme de pollutions et nécessairement voués à disparaître. S’il faut effectivement diminuer la dépendance aux hydrocarbures, la question de la réindustrialisation (un enjeu de plus en plus présent dans le débat public, notamment depuis la crise sanitaire) remet un coup de projecteur sur ce territoire. Engager la transition énergétique et écologique ne signifie pas faire une croix sur l’industrie, mais préparer sa mutation (qui combine notamment décarbonation de l’industrie, transition énergétique et industrie du futur), à la fois pour assurer sa transition écologique mais aussi dans un objectif de reconquête d’une souveraineté technologique locale, nationale et européenne, objectif largement réaffirmé dans le plan de relance français. PIICTO constitue de ce point de vue une offre foncière sans pareille dans un secteur géographique historiquement dédié à ce type d’activités.

L’optimisation de PIICTO, qui foisonne de nombreux projets, passe notamment par une évaluation régulière de leur avancée, de façon à rendre plus lisible son potentiel. L’enjeu étant de passer du statut de laboratoire à celui de territoire pilote de la transition énergétique et de l’Ecologie Industrielle et Territoriale.

Cette optimisation peut aussi passer par une plus grande ouverture vers l’extérieur de PIICTO avec la ZIP de Fos et plus largement les autres territoires d’industrie de la métropole avec lesquels elle échange des flux. De ce point de vue il est à noter que les coopérations intra-métropolitaines de PIICTO se renforcent, tant avec le pôle de compétitivité Cap énergies, qu’avec différents organismes et institutions. Pour développer cela, l’Agam est un partenaire de PIICTO dans le cadre de la démarche de toile industrialo-portuaire menée par l’agence. Nous participons à ce titre à la démarche sur la logistique décarbonée menée par PIICTO.

Synergies © Piicto

Les atouts des territoires Ville Port…

AIVP – Pour conclure quels sont selon vous les atouts et les spécificités des territoires Ville Port sur ce plan de la transition énergétique et des énergies renouvelables ?…

Xavier MOIROUX, AGAM – Les grands ports industriels sont des moteurs de la transition énergétique et des énergies renouvelables dans les territoires. Ils sont aussi les premiers concernés et leur décarbonation (qui constitue un axe important du plan de relance) conjuguée à la lutte contre la pollution de l’air apparait nécessaire.
Ces grands ports industriels constituent une grande partie de la solution pour enclencher la transition énergétique : production de carburants propres (le GNL), d’hydrogène en grande quantité, production d’électricité à partir des énergies renouvelables, électrification des quais, etc.

Les principaux projets de production d’hydrogène vert émergent aujourd’hui d’abord au sein des grands sites d’industrie lourde, notamment au sein de la Métropole Aix-Marseille-Provence (PIICTO, ZIP de Fos, la Mède, Gardanne, Berre l’étang, etc.) qui sont d’ailleurs très liés au Grand Port Maritime de Marseille. La ZIP de Fos étant le principal d’entre eux.

Les zones industrialo-portuaires sont aussi des espaces privilégiés pour les énergies marines renouvelables, notamment pour la phase industrielle. Par exemple, les futures unités de fabrication des éoliennes flottantes ne pourront être accueillies qu’à Fos, qui dispose d’un foncier conséquent (y compris en requalification de terrains déjà artificialisés), contrairement au reste de la métropole. Mais les bassins Est du port à Marseille ne sont pas non plus en reste dans ce domaine, avec la thalassothermie, qui produit simultanément chauffage, climatisation et eau chaude sanitaire pour 500000 m2 de bâtiments de l’extension d’Euroméditerranée.

L’un des enjeux désormais est l’insertion de ces grands sites dans la dynamique technopolitaine en synergie avec les territoires urbains.
Le GPMM – Grand Port Maritime de Marseille, à travers la création du “smart port” a fait son entrée dans la dynamique technopolitaine et d’innovation du territoire. Il semble essentiel d’élargir cette dynamique aux enjeux qui concernent la ZIP de Fos et les sites qui lui sont liés.

GPMM © AGAM

De façon générale les filières maritimo-portuaires (association de la filière maritime et de la filière portuaire), qui ont récemment fait l’objet d’une étude de l’Agam, contribuent de plus en plus à cette dynamique technopolitaine.

… et des solutions à approfondir

AIVP – … et quelles pistes et solutions mériteraient d’être approfondies et davantage mises en œuvre ?

Xavier MOIROUX, AGAM – La transition énergétique, la décarbonation de l’industrie, la lutte contre les pollutions aériennes et maritimes sont des priorités pour lutter contre le réchauffement climatique. Les territoires qui n’enclencheront pas cette transition risquent de se trouver déqualifiés, y compris d’un point de vue économique, en particulier les territoires métropolitains et les territoires portuaires.

Sur le plan des projets les priorités sont multiples :

  • Production d’hydrogène vert et décarbonation de l’industrie : nécessité de coordination à l’échelle métropolitaine entre les différents projets par ailleurs tous fortement liés aux trafics du GPMM (PIICTO, La ZIP de Fos, Arecelor, La Mède, Gardanne, Berre l’étang, Arkéma, etc.). Des outils comme la toile industrialo-portuaire, expérimentée par l’Agam, peuvent par ailleurs aider à anticiper sur le plan économique l’impact de la transition énergétique et à mieux gérer les effets cascades liés à la vulnérabilité de telle ou telle entreprise, de même qu’à élaborer de nouvelles synergies industrielles dans ces domaines.
Projet Provence Grand large
  • Les énergies renouvelables : l’éolien offshore constitue une opportunité importante pour la production d’électricité (25% de la production d’électricité en 2050 en France) et l’éolien flottant pourrait être une solution plus convaincante que l’éolien posé, d’autant que plus éloigné des côtes, son acceptabilité est meilleure et ses capacités de production énergétique plus grandes. Sur notre territoire, nous pouvons citer le projet « Provence grand large » au large de Port Saint-Louis.

Il y a également des enjeux d’autosuffisance énergétique des ports qui peuvent se concrétiser par la couverture des entrepôts par des panneaux photovoltaïques, par exemple.

  • La lutte contre les pollutions de l’air liées au transport maritime et aux industries lourdes : de nombreuses solutions sont déjà opérationnelles (GNL, électrification des quais, scrubbers, etc.), d’autres encore expérimentales comme l’hydrogène. Le GPMM est particulièrement mobilisé sur ce sujet, mais le risque de défiance vis-à-vis des ports est réel (notamment pour des activités telles que la croisière). Pour y faire face, les ports ont par ailleurs renforcé leurs dispositifs de concertation, en collaboration avec l’Agam grâce à une charte Ville-Port et au dialogue Ville-Port.
Connexion électrique des navires.