À Hambourg, l’un des plus grands ports d’Europe et du monde, la Speicherstadt produit toujours un effet hypnotique sur les promeneurs. Cet ensemble d’anciens entrepôts construits à la fin du XIXème siècle en briques traditionnelles du nord de l’Allemagne fascine par sa qualité architecturale et ses perspective monumentales. Cette partie de la ville, inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 2015, reflète l’esprit d’une époque où l’on accordait une grande importance à l’image du port. Le bâti portuaire, qu’il s’agisse de locaux cossus appartenant aux compagnies maritimes ou de bâtiments plus fonctionnels, était un symbole de puissance commerciale.
À mesure que se développaient, au XXème siècle, les activités maritimes et portuaires, une vision fonctionnelle centrée sur l’optimisation de l’espace s’est imposée, reléguant au second plan les valeurs esthétiques et environnementales. Cette évolution a engendré l’apparition de zones industrielles et de vastes étendues d’entrepôts portuaires. La déshumanisation des ports, associée aux projets d’expansion, aux évolutions technologiques et aux nouvelles règlementations qui restreignent l’accès au waterfront, a provoqué des tensions, parfois très fortes, dans les relations Ville Port.
On constate toutefois ces dernières années un intérêt croissant en faveur de l’établissement de relations plus harmonieuses. En outre, la prise de conscience progressive des problématiques environnementales, et les efforts croissants consentis pour y faire face, font naître des initiatives allant dans le sens de la mise en valeur esthétique des ports. Auparavant, on cherchait surtout à dissimuler le port derrière une zone tampon, mais, les intentions ont progressivement évolué. C’est particulièrement vrai en Europe du Nord. Les ports norvégiens d’Oslo et Moss, par exemple, sont tenus de suivre des orientations esthétiques indiquant les axes visuels à protéger, les zones vertes à aménager, quels éclairages adopter ou quels matériaux ou couleurs privilégier. À Oslo, le raisonnement repose sur le principe général selon lequel la valeur esthétique du port peut résider dans les activités logistiques elles-mêmes. Celles-ci méritent donc d’être montrées aux citoyens. La zone tampon sert ici d’espace de transition et non plus d’écran de dissimulation. Partant de ce principe, l’idée est d’augmenter la transparence du port en créant des points de vue d’où il sera possible d’observer ses activités.
Autre exemple dans les pays nordiques : le nouveau port de Vuosaari à Helsinki. Ici, la relocalisation de la majeure partie des activités portuaires pour les concentrer dans un terminal situé à l’extérieur du centre-ville a été l’occasion de tester des solutions innovantes. L’accent a été mis sur l’intégration paysagère d’une nouvelle structure adjacente à un site Natura 2000. Outre un plan d’éclairage visant à réduire son impact, un mur d’enceinte a été construit autour de la zone portuaire. La structure, primée à plusieurs reprises pour sa composante végétale, comprend également un site d’observation ouvert sur le port et le parc.
D’autres ports s’intéressent à la question de la transparence visuelle, comme en témoigne le guide des bonnes pratiques de l’AIVP. Un exemple est celui du Havre, en France, où un mur définissant la limite de la zone portuaire a été remplacé par un treillis métallique qui laisse voir ce qui se passe à l’intérieur du port. Le guide propose d’autres exemples où des belvédères ont été aménagés dans l’objectif de montrer le port aux habitants. Ces initiatives révèlent que le besoin se fait sentir de rapprocher le port des habitants, non seulement à travers des actions sociales mais aussi en leur donnant la possibilité de progressivement se familiariser avec le port et ainsi les amener à le considérer comme partie intégrante de la ville.
Mais il est naturellement impossible de faire abstraction des externalités négatives inévitablement associées à de nombreuses activités portuaires. Quoiqu’il en soit, il existe des exemples d’infrastructures aménagées dans l’objectif de réduire ces externalités que l’on pourrait qualifier de structures singulières, voire emblématiques, tel le terminal charbonnier de A Coruña ou l’incinérateur de Marchwood, à proximité de Southampton.
Dans le sud de l’Europe, certaines villes portuaires parviennent à faire une place aux valeurs esthétiques, mais essentiellement dans le cadre de projets ponctuels en lien avec l’accueil des passagers ou la plaisance. Au Portugal, l’architecture et l’aménagement des nouveaux terminaux passager de Lisbonne et Porto sont d’une qualité remarquable. Les deux structures qui combinent fonctions urbaines et portuaires sont devenues emblématiques de leur ville : le premier terminal comprend des espaces publics surélevés et le deuxième des espaces destinés à accueillir des laboratoires universitaires. Par ailleurs, certains bâtiments marseillais sont des exemples de mixité verticale des fonctions : Au Silo, une salle de spectacles et des bureaux ont ainsi été installés aux étages supérieurs, tandis que le rez-de-chaussée est réservé aux activités logistiques. Les Terrasses du Port qui combinent centre commercial et terrasse avec vue sur mer au niveau supérieur de l’édifice et activités ferry au niveau inférieur, en sont un autre exemple.
Dans cet article, nous avons vu comment les ports et territoires adjacents adoptaient progressivement certaines valeurs esthétiques, révélant une nouvelle manière d’appréhender les infrastructures portuaires. Si la relation Ville Port était jusqu’ici problématique, l’on remarque qu’émergent peu à peu des initiatives témoignant d’une volonté de remédier à la situation. Mais il nous reste une longue route à parcourir. Pour l’heure, on constate que certains projets envisagent déjà le port comme une entité censée évoluer en harmonie avec son environnement et en particulier avec ses zones de transition avec la ville. D’autres sont davantage centrés sur la mise en œuvre d’actions concrètes qui peuvent certes fonctionner isolément, mais qui sont relativement peu intégrés à des initiatives à grande échelle. Il faut donc aller encore plus loin et montrer que le port incarne des valeurs qui ne sont pas seulement centrées sur les marchandises et l’économie mais qui sont aussi liées à l’environnement, à la culture et à la société. À plus forte raison lorsqu’il s’agit de développer une relation Ville Port durable. Et c’est bien là l’ambition de l’AIVP.