Escola Europea est un centre de formation fondé en 2006 par les ports de Barcelone, Rome et Gênes et les compagnies maritimes Grimaldi Lines et GNV. Ce consortium public-privé propose des formations aux professionnels, élèves du secondaire et étudiants universitaires. Escola Europea s’attache à promouvoir une logistique durable basée sur le transport intermodal dans les pays méditerranéens. Situé à Barcelone (Espagne), le centre possède également un établissement à Civitavecchia (Italie). Le capital humain constitue l’un des objectifs de l’ Agenda 2030 de l’AIVP et nous avons été heureux de pouvoir nous entretenir avec M. Eduard Rodés, directeur de l’Escola Europea.
Aux origines d’Escola Europea
AIVP – Nous avons vu sur votre site Web que votre école propose actuellement trois formations dans des domaines aussi divers que la transition énergétique dans les ports ou la multimodalité et les liaisons ferroviaires. Le Port de Barcelone et le Port de Gênes, tous deux membres fondateurs de l’AIVP, semblent être vos principaux partenaires.
Comment l’Escola Europea a-t-elle été créée ? Avez-vous d’autres partenaires en dehors de ceux mentionnés ci-dessus, comme par exemple des collectivités locales ?
M. Eduard Rodés, directeur de l’Escola Europea – Le Port de Barcelone souhaitait promouvoir le Short Sea Shipping en Méditerranée, notamment sur les lignes reliant l’Espagne et l’Italie. Le projet, initialement financé par le programme européen Marco Polo de la direction générale de la mobilité et des transports (DG MOVE), est aujourd’hui considéré comme un exemple de réussite en matière de formation et de promotion du transport intermodal. Les compagnies maritimes sont elles aussi impliquées dans l’initiative aux côtés des autorités portuaires, ce qui est fondamental pour l’école car ce sont elles qui dispensent les formations. Le groupe Grimaldi et Grandi Navi Veloci (GNV), qui appartient au groupe MSC, en sont les membres fondateurs, au même titre que les autorités portuaires de Civitavecchia, Gênes et Barcelone que vous avez justement mentionnées. En dehors de ces principaux partenaires, des entreprises privées et collectivités locales participent au développement des activités de l’école au service des communautés locales. En témoigne notre collaboration avec, par exemple, les municipalités de Barcelone, Prat de Llobregat (qui accueille toutes deux des structures du Port de Barcelone) et Civitavecchia, ou encore avec des instances comme le Conseil régional de la province de Barcelone et le gouvernement catalan.
Forma’t al port : un programme pour les élèves du secondaire
AIVP – L’orientation professionnelle est une question à aborder très tôt : dès le secondaire, les élèves doivent être informés des possibilités offertes par le secteur portuaire afin de pouvoir s’orienter vers la bonne formation et décrocher un poste intéressant. Cette sensibilisation est très importante et votre programme « Forma’t al port » semble tout à fait adapté.
Forma’t al port : comment suscitez-vous l’intérêt des jeunes pour les activités portuaires ? Votre approche a-t-elle évolué depuis le lancement du programme en 2014 ?
M. Eduard Rodés, directeur de l’Escola Europea – Le programme Forma’t al Port (qui peut se traduire par « Formez-vous avec le port ») est à l’origine de ce que l’on peut considérer comme un nouveau positionnement des communautés portuaires par rapport aux centres de formation. Vous signalez l’importance de cibler les jeunes, c’est là la question essentielle. Mais pour les atteindre, il faut d’abord établir une relation de collaboration directe avec les centres de formation. C’est ce que nous sommes en train de mettre en place.
Le monde de l’éducation est un univers très complexe dont nous avons appris à connaître la structure et le fonctionnement au fil des ans. Forma’t al Port a été créé pour former les élèves des filières professionnelles du transport et de la logistique et du commerce international au fonctionnement des ports de commerce et de la Supply Chain internationale.
Par la suite, les universités qui dispensaient des formations en la matière ainsi que dans le domaine portuaire, et qui, aussi surprenant que cela puisse paraître, n’avaient à l’époque établi aucune relation de réel partenariat, ont été invitées à rejoindre le programme. Aujourd’hui, nos formations font partie du programme de ces filières. Elles en sont devenues des composantes essentielles, tant de par leurs contenus que par leur approche novatrice davantage constructive qu’instructive : elles s’inscrivent dans un contexte qui devient à son tour un contenu d’apprentissage fondamental.
Nous travaillons actuellement à la mise en place d’un programme d’orientation destiné aux élèves de 16 à 18 ans, un âge où les jeunes sont appelés à prendre des décisions quant à leurs futures études ou la profession qu’ils souhaitent exercer. Pour les informer sur ce que nous faisons et dans l’intention d’attirer au plus tôt les talents, nous sommes en train de mettre au point le programme Descobreix el Port (à la découverte du port). Ce programme présente un large éventail de carrières professionnelles souvent en lien avec le tourisme et les activités nautiques.
YEP MED : l’orientation professionnelle des jeunes actifs
AIVP – Recruter 420 stagiaires issus de 7 pays méditerranéens : tel est l’objectif final que vous vous êtes fixé dans le cadre du YEP MED, le projet européen que vous dirigez. Nous souhaiterions en savoir davantage sur le volet formation professionnelle de ce projet.
Comment préparez-vous les élèves à travailler dans le secteur portuaire ? Quelles sont les compétences les plus recherchées par les recruteurs ?
M. Eduard Rodés, directeur de l’Escola Europea – Le projet YEP MED compte la participation de 8 communautés portuaires de 7 pays différents. Pour faire avancer ce projet, notamment dans un contexte aussi nouveau et particulier que celui de la pandémie de COVID-19, il nous a fallu repenser le contenu de nos programmes ainsi que leur présentation sans dénaturer le projet d’origine validé par la Commission européenne dans la réalité pré-coronavirus.
Nous avons ainsi développé des contenus davantage orientés sur la façon de gérer les opérations d’import-export de façon durable du point de vue des entreprises de transport. Il nous a donc fallu expliquer le déroulement, et le coût externe, des opérations de bout en bout de la chaîne logistique dans lesquelles interviennent les ports et les opérateurs portuaires : terminaux, consignataires, autorités portuaires, douanes, etc. La grande surprise a été de voir qu’il était possible de reproduire quasiment à l’identique le monde réel dans un environnement opérationnel virtuel. Ce qui, à première vue, semblait constituer un obstacle (mise en place de l’enseignement à distance et fermeture de toutes les frontières) s’est transformé en opportunité ayant donné naissance à une nouvelle génération d’outils pédagogiques basés sur la simulation.
Un deuxième élément fédérateur a été l’anglais devenu « lingua franca » de la formation et dont la pratique est aujourd’hui incontournable dans notre milieu. Nos élèves ont ainsi pu échanger avec des élèves d’autres pays dans le cadre du travail qui leur était demandé pendant les cours. Une expérience passionnante aussi bien pour les élèves que pour les enseignants. Une nouvelle approche que nous aurions normalement mis des années à mettre en place.
Avec la pandémie, les entreprises du secteur n’ont pas non plus hésité à se lancer dans un processus de numérisation, c’est un troisième point. Commerce international durable, anglais, numérisation et constitution d’équipes de travail internationales sont autant d’approches gagnantes. Le dispositif est complété par des stages en entreprise et des formations en alternance lorsque cela est possible. Les entreprises commencent à comprendre qu’elles sont parties prenantes à la solution, qu’elles doivent se concerter et s’impliquer.
YEP MED : aider les sans-emplois grâce au port
AIVP – Dans les pays méditerranéens en particulier, le chômage des jeunes est une problématique difficile à appréhender, comme en Espagne où il a atteint 37% cette année. D’un côté, les entreprises portuaires accusent le marché du travail de ne pas répondre à leurs besoins, de l’autre, les sans-emplois disent que les métiers portuaires ne leur sont pas accessibles. Le chômage semble être précisément un volet important du YEP MED.
Comment l’industrie portuaire peut-elle contribuer à réinsérer les sans-emplois ?
M. Eduard Rodés, directeur de l’Escola Europea – Pendant longtemps, la demande de personnel formé aux métiers portuaires a été supérieure à l’offre du marché du travail. Et la demande de personnel qualifié devrait rapidement augmenter. L’amélioration de la situation en Méditerranée passe par la hausse des exportations dans tous les pays, tant sur les axes Sud-Nord que sur les axes Sud-Sud. Cela implique que davantage d’entreprises, et notamment les PME, se développent à l’international. Cela sera rendu possible par le développement de l’e-commerce qui facilitera ce type d’échanges. Et pour accomplir ces opérations, on aura besoin de personnel qualifié chargé de gérer l’expédition des marchandises de leur lieu d’origine à leur lieu de destination. Pour y parvenir, il faudra recourir à de nombreux opérateurs.
Nous entrons dans une ère intéressante où nous allons nous engager dans un processus de robotisation massif, mais, dans le même temps, il nous faudra compter sur du personnel bien formé pour gérer efficacement les opérations. Et, pour qu’une opération soit efficace, il faudra qu’elle soit sans impact sur l’environnement. Si nous nous y prenons bien, les emplois ne devraient pas manquer dans notre secteur dans un avenir proche.
Nous souhaitons avant tout que l’industrie portuaire devienne le moteur de ce changement. Et cela passe par la numérisation, l’innovation et le développement durable ainsi que par la modernisation d’un secteur qui devra proposer des emplois de qualité tout en préservant notre planète bleue.