Présentation du projet :
La notion de corridor vert a été définie dans la Déclaration de Clydebank adoptée lors de la COP26 de Glasgow en 2021. L’intention est d’encourager la mise en place de routes maritimes à zéro émission entre deux ports et de contribuer à décarboner le secteur maritime. Les ports, en collaborant entre eux et avec d’autres acteurs des secteurs maritime et énergétique, jouent un rôle de premier plan dans cette initiative. Pour comprendre l’impact de ces mesures sur les villes portuaires et expliquer les stratégies et les objectifs suivis, l’AIVP s’est associée au groupe de recherche PortCityFutures afin de réaliser une série d’entretiens avec ceux de ses membres qui prennent une part active dans la dynamique des corridors verts. Cette série d’entretiens s’achèvera avec la publication d’un document qui expliquera aux acteurs des villes portuaires en quoi consistent les corridors verts, à quoi ils servent et surtout quel impact ils peuvent avoir sur la ville portuaire, sur les dessertes vers l’hinterland et même sur le territoire et la gouvernance des ports eux-mêmes.
Le Port d’Halifax (Canada) est un partenaire clé du corridor vert entre Halifax et Hambourg. Dans cette interview, le port nous partage son point de vue sur certaines questions majeures.
Interview avec Capitaine Allan Gray, Président-directeur général du port d’Halifax.
Quelles sont les raisons qui vous ont poussé à soutenir l’initiative de la création d’un corridor vert entre Halifax et Hambourg ?
Les ports d’Halifax et d’Hambourg, portes d’entrée de leurs régions respectives, constituent des points d’entrée et de sortie maritimes clés des marchandises circulant entre l’Amérique du Nord et l’Europe. ACL (Grimaldi) et le service AL5 de The Alliance (Hapag Lloyd, O.N.E., Hyundai et Yang Ming) assurent une liaison hebdomadaire entre les deux ports. Ces compagnies font escale à Halifax deux fois par semaine, générant 466 000 tonnes de dioxyde de carbone (CO2) par an. Le port d’Hambourg est le quatrième partenaire du port d’Halifax, ce qui représente un volume de trafic de 20 057 EVP en charge (14 060 pour les importations et 5 997 pour les exportations).
En 2022, Halifax et Hambourg ont signé un protocole d’entente par lequel ils s’engagent à décarboner le couloir maritime qui relie leurs ports, ouvrant potentiellement la voie au transport de l’hydrogène vert (H2) et dérivés. Ensemble, nous allons nous attacher à améliorer les infrastructures de soutage, à soutenir l’importation et l’exportation d’hydrogène vert, à encourager les partenariats tout au long de la chaîne de valeur, à favoriser le partage des connaissances et de la technologie par des contacts réguliers et la mise en place de groupes de travail conjoints. Notre partenariat avec Hambourg joue un rôle clé dans les efforts déployés par le Canada et l’Allemagne pour faire avancer la filière hydrogène et consolider les liens bilatéraux. En créant « l’alliance pour l’hydrogène », les deux pays se sont engagés à encourager les investissements dans les projets liés à l’hydrogène, à renforcer la sécurité des chaînes d’approvisionnement en hydrogène, à créer un corridor d’approvisionnement transatlantique et à exporter depuis le Canada de l’hydrogène propre dès 2025 afin de contribuer à la sécurité énergétique de l’Allemagne.
Le corridor maritime Halifax-Hambourg est l’occasion idéale de nous engager davantage dans le développement de la filière hydrogène entamé par le gouvernement canadien et la décarbonation du secteur maritime, et pour le Port d’Halifax, le seul port de la côte Est du Canada capable d’accueillir les plus gros navires, il représente une chance unique de rester compétitif à l’heure où les gouvernements, l’industrie et les clients de la Supply Chain exigent un transport conteneurisé moins polluant.
Outre les autorités portuaires, quels sont les principaux acteurs du Corridor vert ? Quels acteurs locaux sont impliqués (par ex. municipalité, citoyens, organisations locales) ?
Le verdissement du corridor appelle une collaboration accélérée entre les Ports, les compagnies maritimes qui empruntent l’itinéraire et les fournisseurs de carburant prêts à assumer une part réduite de risques avant de passer à l’étape supérieure. Le soutien du secteur public et la participation du secteur privé tout au long de la chaîne d’approvisionnement est également indispensable. Nous travaillons en collaboration avec :
- Le port de Hambourg
- PSA Halifax, la filiale de PSA International qui exploite les deux terminaux à conteneurs (PSA Halifax Fairview Cove et PSA Halifax Atlantic Hub)
- CN, le premier réseau ferroviaire du Canada et le fournisseur de services intermodaux du Port d’Halifax
- Les peuples autochtones qui exploitent des entreprises situées en Nouvelle-Écosse
- Les compagnies maritimes qui empruntent le couloir Halifax-Hambourg
- EverWind Fuels
- Les entreprises engagées dans la production d’hydrogène, le déploiement d’équipements alimentés à l’hydrogène sur le territoire portuaire et la transition de leur flotte de camions vers des flottes fonctionnant à l’hydrogène
- La municipalité régionale d’Halifax qui fournit à la population des services de prévention des incendies et d’intervention d’urgence par l’intermédiaire du service régional d’Halifax
- The PIER et homePORT Hambourg, deux centres d’excellence en matière d’innovation appartenant aux Ports d’Halifax et d’Hambourg.
Ces structures ont, à elles toutes, investi des milliards de dollars dans la chaîne d’approvisionnement et le réseau de transport. Le volume de marchandises importées et exportées qui transitent par le Port d’Halifax et le corridor Hambourg-Halifax génère des milliers d’emplois dans tous le Canada. Chacune de ces organisations disposent de compétences spécialisées dans les domaines du transport maritime, des opérations portuaires, de la production et de la distribution énergétique, du transport et de la logistique, du développement de la main d’œuvre et de l’innovation portuaire, lesquelles constituent autant de composantes essentielles pour mener à bien un projet aussi complexe et d’une telle envergure.
Pourquoi avoir mis l’accent sur le soutage de l’hydrogène vert et de ses dérivés ?
Les ports se préparent à accueillir les premiers navires alimentés par des carburants alternatifs. Hambourg espère pouvoir avitailler en méthanol dès 2024 et son terminal d’importation d’ammoniac et d’e-carburant entrera en service en 2026. Entre-temps, EverWind Fuels construit au Cap-Breton, en Nouvelle-Écosse, l’une des plus grandes installations de production d’hydrogène et d’ammoniac au monde. La structure devrait commencer à produire en 2025 pour atteindre sa capacité de production maximale l’année suivante. Le trajet entre le site d’EverWind et Halifax dure entre 15 et 18 heures ; il faut compter une déviation de 12 heures par rapport à la route orthodromique pour rejoindre Halifax. Le Port d’Halifax et EverWind se sont entendus pour étudier la possibilité de produire du carburant vert et de proposer des services de soutage. La production et le stockage d’énergie verte sont aussi envisagés.
Le Port d’Halifax pourrait se positionner comme intermédiaire et acheminer l’hydrogène et dérivés par navire-citerne côtier jusqu’à Halifax où ils pourraient être stockés, distribués et livrés aux navires. Pour des raisons commerciales et logistiques, les porte-conteneurs, même s’ils ne sont pas tenus de décharger les marchandises, pourraient avoir intérêt à utiliser ce service.
Le Canada est l’un des seuls pays à disposer d’un programme de corridors maritimes verts destiné à décarboner le secteur maritime. L’établissement d’un tel programme vous a-t-il aidé dans la planification et la mise en œuvre de votre corridor vert ainsi que dans son articulation avec la chaîne logistique de l’hinterland ?
Le Cadre canadien sur les corridors maritimes verts publié par le gouvernement en 2022 établit une vision nationale avec comme objectif d’établir une cohérence entre tous les corridors de ce type déjà mis en place : entre Halifax et Hambourg, entre Montréal et Anvers, dans le réseau des Grands Lacs et de la voie maritime du Saint-Laurent, et entre les ports du nord-ouest du Pacifique et de l’Alaska. Ce programme, piloté par Transports Canada et présenté officiellement en décembre 2023, prévoit de débloquer 149,7 millions de dollars sur cinq ans à compter de 2023-24 pour développer une nouvelle génération de navires propres, encourager les investissements dans l’alimentation des navires à quai et inciter les ports à accueillir en priorité les navires les moins polluants et les plus silencieux.
Le Port d’Halifax s’est engagé, aux côtés de Transports Canada et d’autres partenaires, à établir un corridor maritime entre Halifax et Hambourg. Pour accélérer le verdissement de ce couloir, nous avons présenté en mars 2024 une demande de financement à Transports Canada (TC). L’apport de TC permettrait au Port d’Halifax et à ses partenaires de se préparer à l’accueil des navires à carburant alternatifs, au soutage éventuel, à l’électrification des équipements ainsi qu’au déploiement d’une filière hydrogène sur le territoire portuaire, et de mettre en place les mesures réglementaires associées. Nous voulons saisir cette occasion pour nous rapprocher de Transports Canada et des autres organismes de réglementation et partager avec les autres ports canadiens les enseignements que nous aurons pu tirer de notre expérience.
Le Port d’Halifax réfléchit activement à la façon d’améliorer l’accès de nos clients aux marchés de l’hinterland, même si cela n’entre toutefois pas dans le champ de la présente initiative.
Le Port d’Halifax possède un Living Lab « The PIER » (Port Innovation, Engagement, and Research). Ce laboratoire de l’innovation et les startups qu’il accueille sont-ils investis dans le corridor vert ? Qu’est-ce que cela change pour eux ?
En 2021, nous avons créé le premier living lab canadien spécialisé dans le transport et la Supply Chain, que nous avons appelé The PIER pour « Port Innovation, Engagement and Research ». The PIER rassemble un écosystème d’organisations qui cherchent à résoudre des problèmes complexes liés à la logistique portuaire, à la Supply Chain et au transport. Nous voulons également privilégier la mise en œuvre des nouvelles réglementations qui s’imposent pour permettre l’innovation et la recherche de solutions pour décarboner les activités portuaires.
Nous pouvons rédiger un appel à contributions et le diffuser à travers The PIER à l’ensemble des professionnels du secteur et des acteurs de l’innovation, notamment les petites entreprises, les startups et les universités, pour qu’ils nous aident à trouver des solutions. La décarbonation de la Supply Chain fait partie des grands défis qu’il est impossible de relever seul. The PIER est un excellent outil qui nous accompagnera dans la démarche que nous avons entreprise avec Hambourg pour établir ce couloir maritime vert.
Hambourg possède une structure similaire appelée « homePORT ». En octobre 2023, homePORT, The PIER et Opentop du Port de Valence en Espagne ont annoncé qu’ils travaillaient à la création d’un réseau mondial de centres d’innovation portuaire appelé PIN (Port Innovators Network) destiné à stimuler l’innovation dans le système portuaire mondial. Nous pensons que Le PIN pourrait bien révolutionner le secteur portuaire.