Le port de Seattle est situé dans l’État de Washington, au nord-ouest des États-Unis. En étroite collaboration avec la Ville de Seattle et le comté de King, le Port poursuit une logique de développement durable. Les membres de la Commission portuaire, les port commissioners, sont élus par les habitants du comté et, depuis plusieurs années déjà, leurs projets sont menés en concertation avec la population de la vallée Duwamish, la plus affectée par l’activité portuaire. Cette démarche qui commence à porter ses fruits a suscité l’intérêt de l’AIVP. Nous nous sommes entretenus avec Christina Billingsley, responsable du programme d’action pour l’environnement, et Dre Avila, volontaire au sein de l’organisation communautaire de la vallée Duwamish.
AIVP – Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste et comment fonctionne ce programme consultatif communautaire ?
Dre Avila, conseillère communautaire – Dans la vallée Duwamish, les volontaires communautaires sont co-responsables des relations avec le port. Le groupe d’action locale « Duwamish Valley Port Community Action Team » (PCAT) est composé de six membres qui assument le rôle de « conseillers communautaires ». Le Port cherche toutefois à recruter davantage de membres afin de diversifier les profils. Les volontaires communautaires sont spécialisés dans des domaines différents (environnement, mobilité, gestion fluviale, etc.), et leurs appartenances raciales, ethniques, sexuelles et sociales sont diverses. Les gens qui vivent dans la vallée Duwamish, entre la zone industrialo-portuaire et l’aéroport, sont soucieux des relations qu’ils entretiennent avec le Port. La mission de conseiller dans ce type de groupe d’action nécessite entre 20 et 40 heures de travail par mois, lesquelles sont compensées financièrement par l’autorité portuaire. Les volontaires s’engagent à fond dans ce plaidoyer et vont même jusqu’à prendre des jours de congé dans leur vie professionnelle pour mener à bien cette activité.
Christina Billingsley, responsable du programme – le Port de Seattle met l’accent sur l’engagement communautaire afin d’avancer vers des objectifs communs port-habitants en matière de justice environnementale. En 2016, nous avons constitué une équipe chargée des relations avec la population locale pour aborder la question de l’impact de l’activité portuaire sur l’environnement. Grâce à une subvention accordée par l’agence fédérale de protection de l’environnement, un nouveau programme a pu être élaboré pour traiter les externalités négatives, celles d’aujourd’hui et celles de toujours, de l’industrie portuaire.
Ce programme, structuré autour d’une politique définie conjointement par le Port et les conseillers communautaires, met en avant deux quartiers proches du port confrontés à des défis environnementaux. Le groupe a été créé sur la base des principes suivants : instaurer une relation de confiance fondée sur le respect et la transparence ; faciliter l’implication des conseillers ; promouvoir un maximum d’inclusivité afin que les personnes les plus concernées et celles qu’on entend le moins influencent réellement le processus de décisions.
AIVP – Quel intérêt présente ce groupe pour le Port et, en retour, quels avantages en retirent les citoyens ?
Christina Billingsley, responsable du programme – Un port peut soutenir les petites entreprises, s’impliquer dans la protection du patrimoine culturel et même attirer les touristes. C’est ce que nous avons compris en travaillant avec le PCAT. Les conseillers communautaires nous ont fait prendre conscience de tout ce qu’il était possible de faire. On peut dire qu’ils nous ont incités à être plus créatifs, plus ouverts aux autres territoires. Et il est vrai que maintenant que nous entretenons des contacts permanents avec la population, nous nous lançons plus facilement dans de nouveaux projets. Cela ouvre des possibilités qu’on pensait jusqu’alors inenvisageables.
Dre Avila, conseillère communautaire – Nous avions le sentiment d’être « mariés pour toujours » avec le port, mais sans avoir le droit à la parole. Aujourd’hui, on a bien l’intention de se faire entendre.
AIVP – Comment avez-vous réussi à convaincre la direction du Port de poursuivre le programme après la fin de la subvention fédérale ?
Christina Billingsley, responsable du programme – Depuis le début, dès le lancement du programme subventionné, il nous a fallu convaincre les dirigeants. Le concept de justice environnementale peut parfois impressionner et sembler un tant soit peu « hostile ». Nous avons beaucoup échangé avec la direction car il s’agissait de mettre en œuvre des idées complètement novatrices. Nous disposions toutefois de toutes les données scientifiques nécessaires pour défendre notre cause, et la communauté était à nos côtés. On avait donc toutes les chances de réussir. Ensemble, nous avons expliqué aux dirigeants pourquoi il était important de remédier à ces situations d’injustice qui durent depuis toujours, et en quoi une telle démarche, durable et progressiste, s’inscrivait dans l’intérêt de l’institution elle-même et présentait des avantages concrets pour l’activité portuaire : création d’emplois, découverte du port par les citoyens, relation ville-port harmonieuse.
En 2019, en collaboration avec l’autorité portuaire et les habitants de la vallée, nous avons travaillé sur un programme de stages pour les jeunes en place au Port de Seattle depuis des années. Nous avons mis l’accent sur la diversité et l’inclusion afin d’intégrer davantage de membres issus de la communauté environnante dans notre effectif. Nous nous sommes appuyés sur les résultats obtenus dans le cadre d’un programme antérieur pour convaincre nos collègues de développer encore davantage ce type de projet.
La dernière étape a consisté à proposer des actions concrètes visant à favoriser des échanges plus ouverts avec les habitants. Nous avons par exemple financé des projets communautaires qui n’avaient jusqu’alors jamais abouti tels que l’embellissement des espaces verts et des initiatives artistiques. Cela a créé un climat de confiance. On a pu alors organiser des déjeuners, instaurer un dialogue, et aborder des questions plus difficiles afin de faire avancer nos objectifs communs.
Dre Avila, conseillère communautaire – Responsabilité et diversité sont les mots d’ordre de ce programme. Les conseillers communautaires représentent les citoyens et ils ont, à ce titre, des comptes à leur rendre. On attend de nous que nous mettions nos compétences et notre talent au service de la communauté pour faire avancer la relation avec le Port. Nous sommes volontaires mais prenons notre travail très au sérieux. Il faut aussi savoir que tous les volontaires suivent une formation sur les « principes d’équité, de diversité et d’inclusion liés à la justice environnementale ».
AIVP – De quelle manière faire évoluer cette collaboration pour la rendre encore plus efficace à l’avenir ?
Christina Billingsley, responsable du programme – Pour 2023, notre objectif est de mettre le groupe de conseillers communautaires en relation avec d’autres services du port. Notre équipe en charge des relations avec la population locale restera toutefois l’interlocuteur privilégié des citoyens, mais l’ensemble des services du port devra être tenu au courant de tout ce qui les touche. Nous entendons poursuivre notre effort de coordination en 2023.
Le fait que de plus en plus de port commissioners, élus par les citoyens de l’ensemble du comté (et pas seulement par ceux de la ville de Seattle), choisissent de s’installer à proximité de la zone portuaire pour y vivre constitue un atout pour nous. Ils ressentent directement les externalités de l’activité portuaire dans leur vie quotidienne. Et c’est une bonne nouvelle pour l’institution portuaire car ses dirigeants ont ainsi une meilleure compréhension des questions liées à la justice environnementale et sont donc plus enclins à prendre des mesures en ce sens.
Dre Avila, conseillère communautaire – Le port ne sera pas déplacé, nous le savons bien. Et cela a des impacts réels sur notre santé : certaines études montrent que l’espérance de vie des habitants de la vallée Duwamish est inférieure de 13 ans à celle des personnes qui vivent dans des secteurs plus éloignés du port. En dépit des nuisances inévitables, nous ne partirons pas. Plutôt que de quitter ce quartier que nous aimons, nous préférons l’améliorer. C’est pourquoi nous allons poursuivre et intensifier notre travail de collaboration avec le Port de Seattle.
Pour plus d’informations, consultez le site www.portseattle.org/duwamishvalley ou adressez-vous à Christina Billingsley, responsable du programme d’action pour l’environnement du Port de Seattle : Billingsley.c@portseattle.org