Sabah Zrari, Docteure en Sciences Politiques, IEP de Paris, Coordinatrice académique du diplôme « Durabilité des villes portuaires » à l’Université de Valparaiso et directrice académique du diplôme « Planification, gestion et gouvernance des villes portuaires », Université de Santiago du Chili.

La gouvernance des villes portuaires est complexe, voire sujette à interprétation. Chaque pays possède son propre cadre juridique qui détermine la capacité des acteurs clés, tels que les autorités portuaires et les municipalités, à influencer ou à diriger les processus de développement et de dialogue des villes portuaires. Dans cet article, le Dr Sabah Zrari propose une définition claire de la gouvernance des villes portuaires, fournit plusieurs exemples et nous met au défi de trouver des moyens d’en évaluer l’efficacité.

Le professeur Peter Hall, dans ce même espace, écrivait « (…) la gouvernance nous incite à nous pencher sur la meilleure manière de prendre des décisions et avec quels partenaires ».
C’est en effet tout le défi et la complexité de la démocratie participative et c’est ce en quoi nous invite l’AIVP en définissant comme 4e objectif de son Agenda 2030 : « Favoriser le dialogue Ville Port au sein d’une gouvernance renouvelée visant à associer la recherche de la performance économique et environnementale au bien-être et aspirations des habitants ».

Nous définirons tout d’abord ce que nous entendons par « gouvernance ville-port » ce qui nous permettra d’en souligner la complexité tout en reconnaissant sa nécessité. Nous illustrerons ensuite notre propos par quelques exemples concrets ; nous terminerons enfin par une invitation à réfléchir sur la mise en place d’instruments de mesure et de suivi.

Les définitions de la notion de « gouvernance » sont multiples et nous utiliserons celle que Patrick Le Galés, politiste et spécialiste de sociologie urbaine, propose, à savoir « un processus par lequel des acteurs qui ont des logiques et des intérêts divers, se coordonnent autour d’un objectif qu’ils construisent collectivement ».

La coordination peut se faire au sein d’une organisation créée spécialement à cet effet ou bien en dehors. Mais il s’agit dans tous les cas d’une gouvernance qui vient se greffer sur celle des organisations dont fait partie chacun des acteurs.

Or, les structures de gouvernance des différents acteurs ne priorisent pas de la même façon les objectifs de rentabilité et celles du bien-être et des aspirations des populations. Il existe cependant des cas où la gouvernance des ports et celle des villes sont entremêlées, comme à Rotterdam où un adjoint au maire, le havenwethouder, siège au conseil d’administration du Port. Cet agencement institutionnel rend plus facile la recherche systématique d’équilibres entre rentabilité et bien-être des populations locales, mais il est difficilement transposable dans les pays où les ports relèvent de l’Etat central et non des villes, ou bien dans le cas des territoires où les ports sont entièrement privés.

Emplacement du port Kop van de Beer, Europoort. Danny Cornelissen. Fourni par le port de Rotterdam.
Emplacement du port Kop van de Beer, Europoort. Danny Cornelissen. Fourni par le port de Rotterdam.

L’objectif fixé par l’AIVP met également l’accent sur le caractère renouvelé de cette gouvernance. Ce qui revient à reconnaître la perte d’efficacité des formes de gouvernance actuelles pour parvenir à définir des objectifs qui rassemblent le plus grand nombre autour d’un projet collectif. Mais c’est aussi et surtout une invitation à l’innovation dans plusieurs domaines, et de façon simultanée : la représentativité, la concertation, la transparence de l’information et de la gestion des territoires, la mise en place de systèmes ouverts de données, la collaboration intégrant connaissance scientifique et technologique et savoirs de la société civile ; l’équilibre dans l’occupation des sols en particulier sur le waterfront.

C’est donc une formidable ambition qui répond aux évolutions sociétales des dernières décennies et qui prend acte de l’évolution même des ports et des villes dans leurs interactions avec la société civile, à la fois plus sensible aux problématiques du développement durable et plus exigeante sur l’incidence réelle de la participation dans les décisions. Cette évolution se reflète dans les instruments utilisés. Je citerai quelques exemples.

À Rotterdam, Amsterdam, Vancouver, existe depuis plusieurs années le Port Vision, document de prospective participative, qui est le produit d’un processus où se réunissent les différents acteurs, dans les groupes thématiques et homogènes quant au degré d’expertise et de représentation. C’est un instrument de gouvernance participative et multi-niveau (Etat central, décentralisé et déconcentré, secteur privé et société civile), novateur, doté de mécanismes de suivi et qui engage la responsabilité des institutions y compris sur le plan financier. Il est ainsi adopté en Conseil Municipal à Rotterdam comme feuille de route.

Au Chili, Empresa Portuaria Valparaiso, entreprise publique autonome qui relève de l’Etat central, a lancé une série de réunions avec différents acteurs de la société civile pour recueillir leurs réactions autour d’une proposition d’expansion du port « dans le périmètre des eaux protégées ». Cette initiative, appelée « Valparaiso dialoga » est intéressante par sa nouveauté, par les questions qui sont posées, par le ton conciliant et d’écoute. Mais, elle pose également un certain nombre de questions et notamment sur les raisons qui ont poussé Empresa Portuaria Valparaiso à ne pas associer le Conseil de Coordination Ville-Port, instance de gouvernance ville-port prévue par la législation chilienne.

Valparaiso
Valparaíso Dialoga

Au Pérou, en 2020, sous l’égide du Gouvernement régional de Callao, une série de groupes de travail réunissant 44 experts ont eu en charge la formulation d’un diagnostic intégrant infrastructure, sécurité, santé, éducation et économie. Un Plan 2020-2022 de la Ville-Port de Callao a été ensuite formulé et approuvé par le Conseil de Coordination Ville-Port créé en 2019 pour “articuler l’optimisation de la logistique portuaire et aéroportuaire, la compétitivité et la productivité régionale avec les principes d’efficacité, de solidarité et de sécurité en relation avec la citoyenneté ».

Enfin, à Séville, l’Autorité Portuaire joue un rôle de premier plan dans la création du Conseil pour l’amélioration de la navigabilité et la récupération de l’équilibre écologique de l’estuaire du Guadalquivir. Le Conseil réunit les différents acteurs et s’organise autour de groupes thématiques qui situent l’activité portuaire dans des enjeux plus larges intéressant les autres acteurs du territoire. Ce Conseil s’ajoute au comité scientifique qui doit déterminer les interactions principales que l’amélioration de la navigabilité ont sur le reste de l’estuaire. Il aura en effet pour le Port un rôle consultatif dans la définition du Projet d’optimisation de la Voie navigable comme nous l’a signalé Antonio Bejarano Moreno, chef de la division Environnement de l’Autorité Portuaire de Séville.

Port de Seville

Ces nouvelles formes de participation qui constituent dans certains cas une gouvernance ou s’en rapprochent sont le produit d’un apprentissage des leçons tirées des conflits passés. Elles pourraient marquer une nouvelle phase dans les relations entre villes, ports et sociétés civiles et dans la construction d’un « nous collectif ». Il faudrait toutefois rappeler que tous les pays n’ont pas les mêmes modes de gouvernance, notamment dans les régions du monde où coexistent différents peuples et traditions comme en Amérique précolombienne.

Il convient enfin de poser la question du suivi et de l’évaluation afin de différencier les efforts véritables de développement durable des effets de communication. Un instrument de mesure pourrait alors être envisagé sous la forme d’un indice de développement durable Ville-Port, qui reprendrait les principales dimensions de l’Agenda 2030 de l’AIVP. L’invitation est lancée ; reste à trouver les partenaires et les financements.

Cover photo « 2017 – Vancouver – Burard Inlet Centerm Gantry Cranes » by Ted McGrath. Available in 2017 – Vancouver – Burard Inlet Centerm Gantry Cranes | Flickr. License at Creative Commons — Attribution-NonCommercial-ShareAlike 4.0 International — CC BY-NC-SA 4.0