Article d’opinion coordonné par Francesca Morucci, Head of Public Relations Office, Autorité du Système portuaire de la Mer Tyrrhénienne du Nord (Italie) et José M. P. Sanchez, Responsable de projets internationaux, AIVP,
avec les contributions de Laurence Bouchardie, Chef du département marketing – Responsable Croisière Bordeaux, Port de Bordeaux Atlantique (France) et de Jamil Ouazzani, Directeur du marketing et de l’intelligence stratégique, Société de gestion du port de la ville de Tanger (Maroc).
Bordeaux (France), Ports de la Mer Tyrrhénienne du Nord (Italie), et Tanger (Maroc) : ports et villes de 3 pays face à la reprise des croisières
La santé aura sans conteste été le grand sujet de l’année 2020. Du reste, le grave incident survenu il y a un peu plus d’un mois à Beyrouth a ravivé les inquiétudes quant à la compatibilité entre les activités portuaires et urbaines, et quant à la santé et la qualité de vie des habitants vivant à proximité de ports actifs. Ce cadre général conforte l’AIVP dans le bien-fondé de l’objectif 9 de son Agenda 2030 dédié à la santé et à la qualité de vie des habitants des villes portuaires.
A l’époque où « nous étions heureux sans le savoir », nous avons peut-être abordé de manière trop superficielle les principales questions soulevées dans l’objectif 9 de l’Agenda. Les sous-objectifs considérés sont presque entièrement centrés sur les externalités environnementales des activités portuaires en milieu urbain, et nous avons explicitement mis l’accent sur le suivi environnemental et la transparence, la qualité de l’eau, les espaces verts, l’impact de la croisière et la nécessité de privilégier les combustibles propres et la réduction de la vitesse des navires. L’objectif 9 aborde néanmoins des aspects essentiels de la relation Ville Port dont nous devons débattre de manière plus rigoureuse dans le contexte post-Covid. L’idée est de définir les meilleures solutions à mettre en œuvre dans les différentes villes portuaires en s’appuyant sur le point de vue des experts et le partage d’expériences. C’est pourquoi nous avons décidé de consacrer le premier mois de notre programme d’automne à l’objectif 9 de notre Agenda 2030.
Santé et qualité de vie: une priorité pour l’AIVP depuis 2018
En juin 2020, nous avons organisé une série de trois webinaires, les Port City Talks, en vue de débattre de questions essentielles pour les villes et les ports. L’un d’entre eux, consacré à la croisière, a rassemblé l’expertise d’acteurs chiliens, français, italiens et marocains directement impliqués dans le secteur. Lors de cette session, les intervenants ont présenté des initiatives intéressantes susceptibles d’inspirer les acteurs Ville Port d’autres régions. Ils sont également revenus sur le fait que l’accueil de la croisière dans les villes portuaires soulevait des questions environnementales beaucoup plus complexes comme les émissions de GES et les phénomènes socio-économiques tels que le tourisme de masse. Depuis le mois de juin, la situation inédite que nous vivons a sérieusement perturbé la haute saison de la croisière et du tourisme dans l’hémisphère Nord.
Comme nous l’avons dit il y a quelques mois au cours du webinaire dédié à la croisière, l’un des rares aspects positifs de l’arrêt forcé de nombreuses activités économiques est de nous donner la possibilité de réfléchir à la façon dont nous agissons. Après quelques mois, nous souhaitons vous faire part de quelques réflexions sur la situation de la croisière dans les villes portuaires et sur les perspectives d’avenir. La question n’est pas de savoir si l’on est pour ou contre les croisières, mais comment les faire évoluer pour relever le défi afin qu’en concertation avec les villes, nous puissions promouvoir un tourisme plus économique, plus respectueux des hommes et de l’environnement.
C’est par là qu’il faut commencer. L’idée maîtresse est que nous devons inventer une croisière globalement plus durable, sur les plans économique, social et environnemental. Une telle conclusion n’est pas vraiment surprenante, c’était même notre constat initial. Mais bon nombre d’acteurs décisionnaires semblent ne pas avoir entendu le message et le débat mérite d’être approfondi.
Italie, Maroc, France: à chacun sa solution – l’analyse de l’AIVP
Il sera question ici du retour des croisières, envisagé comme une chance de repenser le secteur et le rendre plus durable. Nous analyserons trois contextes différents : celui de Bordeaux, celui des ports du réseau de la Mer Tyrrhénienne du Nord (Livourne, Piombino et Portoferraio), et celui de Tanger. Nous nous efforcerons de répondre aux questions soulevées en nous appuyant sur des exemples provenant de ces trois régions portuaires, et nous préciserons quelles sont celles qui restent ouvertes et qui exigent davantage de concertation.
La relation ville-croisière avant la pandémie ?
Avant la pandémie de COVID-19, la croisière était déjà au centre de nombreuses controverses en lien avec les conséquences de son développement, notamment dans certaines villes portuaires en Europe où les acteurs locaux ont commencé à critiquer ses externalités économiques, environnementales et sociales.
« Vieux » et « nouveau » monde du tourisme de masse
Les aménagements réalisés pour l’accueil des croisières sont de plus en plus discutés ; les externalités environnementales sont d’autant plus mises en exergue que les bénéfices économiques ne sont pas si évidents que cela ; les différentes procédures liées à l’accueil des croisières sont parfois perçues comme excessives. Il suffit de penser à l’accueil des méga navires, qui exige une chaine logistique complexe pas toujours à la portée des autorités locales. Il y a le « vieux monde » de la croisière, surtout en Europe, pour qui commencent à peser les inconvénients d’un secteur drainant chaque année quelques millions de croisiéristes. Et à côté, il y a les villes portuaires du « nouveau monde », notamment dans les régions tropicales, comptant de nombreuses îles pour qui la croissance de l’activité croisière est encore perçue comme un moteur de la création d’emplois et qui ne perçoivent pas encore les externalités négatives ou les déséconomies d’échelles.
Le défi du surtourisme : les exemples de Venise, Barcelone ou Lisbonne
Les externalités environnementales et sociales, de plus en plus évidentes dans le monde entier, de même que les doutes sur les avantages économiques, sont désormais aussi débattues par le grand public et ont été mises en avant, à plusieurs reprises, par différentes organisations.
Des associations environnementales comme l’Union pour la conservation de la nature et de la biodiversité (NABU) ou la Fédération européenne pour le transport et l’environnement (T&E) publient régulièrement des rapports qui pointent l’industrie du doigt en raison de la pollution générée par les gros paquebots, que ce soit en mer ou à terre. Toutefois, depuis quelques années, nous constatons que les principaux acteurs de l’industrie développent de nouvelles technologies permettant de limiter cet impact et qu’ils investissent dans de nouveaux navires conformes aux nouvelles réglementations et qui seront progressivement alimentés à quai en énergie verte. Il est essentiel que les efforts déployés pour réduire les externalités environnementales se poursuivent pendant l’après-Covid, même en période de crise économique.
Sur le plan social, la croisière est devenue le symbole du tourisme de masse, bien qu’elle ne soit pas la seule en cause. Si l’on considère la fréquentation des plus grands ports de croisière, on constate aisément que la plupart des touristes arrivent par avion. Cependant, le caractère peu écologique du tourisme de croisière et le type de visites proposées, essentiellement en grands groupes, font que les répercussions se font davantage sentir dans les zones urbaines déjà fragilisées. De plus en plus, les associations de citoyens se mobilisent contre l’industrie du tourisme et contre les croisières. On lit dans les journaux que des manifestations ont lieu dans des villes de destination classiques comme Venise ou Barcelone, mais aussi dans des villes comme Lisbonne, qui fait partie des nouvelles destinations en vogue.
Les formules “All included”, un piège qui encourage les mega-navires démesurés ?
Du point de vue économique, les avantages de la croisière pour les villes d’accueil sont de plus en plus remis en question. Les ports de départ tirent profit des dépenses des touristes (billets d’avion et nuits d’hôtel avant ou après la croisière) mais les avantages pour les ports d’escale sont plus discutables. En plus, les formules “all included” faisant partie intégrante du marketing des croisières, les navires deviennent de véritables destinations en eux-mêmes. L’attractivité économique des mega-navires provient de leur capacité d’accueil et des divertissements proposés à bord, qui génèrent de nouvelles recettes pour les propriétaires, tout en réduisant le panier moyen dépensé lors des escales. De plus, ces mega-navires s’arrêtent peu de temps dans les villes portuaires, par soucis de rentabilité des services proposés à bord, réduisant d’autant plus le fameux « panier moyen ». Ces escales courtes provoquent des pics de circulation de véhicules et de piétons, tous les passagers se précipitant vers des lieux et attractions touristiques dont la capacité d’accueil est néanmoins limitée. Cela génère évidemment de la frustration.
Avant la crise : extension du domaine de la croisière
La situation dans laquelle le secteur se trouvait avant le Covid était donc double. Même si les tensions sociales autour de la croisière attirent beaucoup l’attention des médias, les villes portuaires qui se livrent concurrence pour attirer les navires en escale ou pour servir de port d’attache sont nombreuses. Cela montre que, si les externalités négatives des croisières peuvent se traduire par un rejet social dans certains cas, on peut, pour un même itinéraire ou dans un même pays, continuer d’en attendre des retombées positives justifiant des dépenses en infrastructures ou en campagnes marketing. Qui plus est, dans les villes mêmes où les associations de citoyens font entendre leur mécontentement, les acteurs économiques et les institutions publiques défendent l’activité, en raison de ses incidences économiques et des emplois qu’elle génère. On retrouve la même dualité dans l’approche des externalités négatives.
D’une part, dans les villes portuaires où l’activité croisière est très développée, les acteurs locaux doivent coordonner leurs actions et organiser la filière afin de réduire ses impacts négatifs, et parvenir à un certain équilibre, même s’il cela implique de limiter le nombre d’escales et de passagers. D’autre part, les villes portuaires nouvelles venues sur le marché doivent tirer des leçons des expériences passées, et élaborer des plans qui leur permettent de structurer leur croissance et de réduire les externalités négatives. Cette situation est empirée par le fait que les ports, surtout les terminaux privés, sont sous le joug de compagnies maritimes qui peuvent faire pression pour obtenir des réductions tarifaires, réclamer des subventions et des services supplémentaires, et finalement menacer de ne plus prévoir d’escales. Cette menace est réelle et pourrait provoquer l’effondrement du trafic portuaire de certains ports, dans la mesure où les armateurs scellent des ententes et se partagent le marché.
En Mer Tyrrhénienne, des citoyens très attentifs
Un exemple de la situation décrite ci-dessus peut être trouvé dans les ports de la Mer Tyrrhénienne du Nord. A Livourne, où l’activité croisière s’est développée depuis les années 2000, les acteurs locaux ont commencé à devoir faire face aux critiques de la société civile, qui voit davantage les externalités négatives et moins les retombées économiques pour la ville et le territoire. Point de passage vers les villes patrimoniales de Toscane, Livourne accueille des passagers de croisières assez brièvement, souvent en retour d’excursions. Ce sont surtout les équipages qui visitent la ville et y consomment pendant l’escale, mais cela ne suffit pas générer des retombées économiques importantes malgré les atouts de la ville. De son côté, Piombino est une ville qui n’a pas encore connu d’essor du trafic croisières, pour lequel les autorités locales nourrissent une ambition. La croisière post-Covid pourrait effectivement représenter une opportunité pour les petits ports, qui en étant moins fréquentés peuvent garantir un tourisme durable et authentique.
Une autre polémique relativement nouvelle est liée au développement des terminaux de croisière. Il s’agit souvent d’infrastructures incontournables dont l’aménagement est à négocier avec les opérateurs de croisière si l’on souhaite tirer le meilleur parti du statut de port d’attache. Même si un terminal peut devenir un carrefour des interactions Ville Port, son emplacement peut provoquer des controverses. Un terminal croisière proche du centre-ville peut procurer des avantages sur le plan de l’environnement : les passagers peuvent débarquer à proximité des principaux sites d’intérêt sans avoir à utiliser des moyens de transport polluants et être incités à visiter davantage les quartiers populaires proches du centre-ville plutôt que des sites éloignés, mais un emplacement central implique le rejet des fumées directement en zone urbaine.
Dans les années qui ont précédé la pandémie, l’essor du tourisme urbain et des voyages internationaux a placé les pouvoirs locaux et nationaux, confrontés à un phénomène mondial, devant un dilemme. Disons que, dans bien des cas, les destinations touristiques les plus fréquentées étaient victimes de leur propre succès. Des mesures drastiques ont alors été prises dans les villes portuaires les plus fréquentées. Un exemple bien connu est celui de Dubrovnik où l’autorité portuaire a décidé de limiter le nombre de bateaux de croisière et de passagers autorisés à faire escale ou à débarquer. On observe aussi de plus en plus souvent l’application d’une « taxe de séjour » qui vise à compenser les coûts cachés du tourisme. C’est l’option choisie par des villes comme Amsterdam ou Venise.
Dans le cas néerlandais, les passagers qui débarquent doivent, depuis 2019, s’acquitter d’une taxe supplémentaire de 8 euros. En 2019, cette mesure a déjà réduit le nombre d’escales de bateaux de croisière de 40%, ce qui n’est pas sans inquiéter les opérateurs de terminal. La ville de Venise s’est engagée dans la même voie avec l’application, depuis le mois de juillet, d’une taxe aux touristes d’un jour, quel que soit leur moyen de transport. En Italie, le montant de la taxe sera adapté au nombre de visiteurs quotidiens en fonction des statistiques des années précédentes. Ainsi, il s’élèvera à 3 euros lorsque la fréquentation est faible et pourra aller jusqu’à 10 euros les jours d’affluence. Il reste à savoir si, dans le contexte de l’après-pandémie, les autorités locales vont poursuivre l’application de ces mesures ou si elles décideront de les reporter afin de faire du tourisme un vecteur de relance économique, plus durable.
Entre espérance et prudence : la relation ville – croisière à Bordeaux
Dans certains cas, la relation ville-croisière était assez équilibrée, en raison du nombre relativement faible de croisières et de passagers ou de la configuration des installations portuaires. Par exemple, nous pouvons voir le cas de Bordeaux (une ville de 800 000 habitants, recevant normalement 6 à 7 millions de touristes par an), où les grandes croisières sont amarrées au Verdon à l’embouchure de l’estuaire de la Gironde, sans contraintes particulières (port « commercial » éloigné des habitations). Dans le terminal du centre-ville, seuls 2 navires plus petits peuvent être accostés, dans une limite de 260 m de long et d’un tonnage limité par les contraintes nautiques du fleuve. Il fait donc office de « port boutique » accueillant des navires de luxe entre 80 et 1000 passagers, et un maximum de 1500 à 2000 personnes par jour, et même généralement moins en raison du calendrier moins dense de ces navires qui restent seulement une ou deux nuits. A Bordeaux, les retombées économiques pour le territoire sont donc très importantes, à la fois parce qu’il s’agit de passagers à fort pouvoir d’achat, et parce que les escales sont longues, et au cœur de la ville, à proximité de tous les commerces et restaurants.
Les atouts de Bordeaux- cadre exceptionnel, escale au cœur de la ville UNESCO, toutes les activités de commerces et restaurants « à portée de main »- sont cependant également une source de polémique et d’inquiétude pour certains habitants ou opposants, qui se plaignent de la proximité des navires et de leur pollution supposée. Une étude menée en 2018 pendant plus de deux mois en pleine saison par l’organisme chargé de la qualité de l’air à Bordeaux (ATMO) a montré que même lors d’une double escale, les émissions de polluants étaient bien en dessous des seuils autorisés, et que leur impact sur la pollution de la ville est « marginal ». Malheureusement, ces arguments concrets et factuels n’ont pas suffi à calmer les critiques les plus motivées. Par conséquent, il s’agit d’un enjeu pour les prochaines années, et cela montre la nécessité d’une meilleure communication y compris sur les réseaux sociaux où ces groupes sont très actifs. La question de la pollution des paquebots fluviaux a été réglée avec l’électrification des postes à quai, mais, pour les navires maritimes, c’est techniquement plus compliqué car leurs besoins en énergie sont bien supérieurs à ceux des fluviaux. Le port et ses partenaires (ville, métropole et pilotes), soucieux de l’acceptabilité de l’activité croisière, et désireux de prendre en compte les préoccupations des riverains, ont élaboré une charte de bonnes pratiques environnementales, pour minimiser les impacts des escales en centre-ville. La signature de cette charte par les compagnies est obligatoire pour accéder aux quais.
Rénover le waterfront pour dynamiser la croisière – le cas de Tanger
Autre enjeu majeur du secteur, les projets de régénération du waterfront qui avaient pour objectif de dynamiser le tourisme lié aux croisières, comme c’est le cas au Port de Tanger Ville. Ce projet, lancé en 2010, vise à placer cette ville marocaine comme référence touristique sur les marchés internationaux, tout en trouvant un équilibre environnemental et culturel. Le développement des activités croisière, ferry et de port de plaisance est lié à d’autres domaines commerciaux. Cette opération a été développée sur la base du dialogue entre les différents acteurs du secteur touristique. Les bons résultats obtenus jusqu’à présent dans le cadre du dialogue port-ville et de la régénération du front de mer pourraient être affectés par l’arrêt des croisières et du tourisme en général.
Aujourd’hui nous pouvons déjà affirmer que les conséquences du Coronavirus pour le secteur des croisières ont été dramatiques et que la lente reprise dans certains pays européens (Allemagne, Norvège, Italie, etc.) est menacée non seulement par le risque d’une deuxième vague mais, une fois de plus, par la mauvaise image dont les croisières sont affublées depuis quelques temps.
Bien que le changement climatique et le tourisme de masse soient des phénomènes mondiaux qui s’étendent bien au-delà des villes portuaires, la croisière en est devenue un véritable symbole aux yeux du plus grand nombre. La pression citoyenne influence la gouvernance urbaine et portuaire, tout particulièrement en Europe, là où l’équilibre est le plus fragile. À la suite du COVID, les croisières sont rentrées dans une nouvelle phase où, malgré elles et les querelles qu’elles soulevaient déjà, il va falloir considérer la pandémie comme une opportunité d’accélérer la réorganisation du secteur et d’en réduire les externalités négatives.
L’arrêt puis le retour des croisières
Depuis le début de la pandémie, les croisières ont beaucoup fait parler d’elles, en mal. Dans différentes régions du monde, les bateaux de croisière ont vu naître des foyers d’infection, donnant lieu à des situations complexes où les pouvoirs locaux, et parfois la population, refusaient le débarquement des passagers. Sous la pression des différentes autorités nationales, les opérateurs ont décidé d’annuler les croisières prévues à plusieurs mois d’échéance.
Brutale récession et crise mondiale
Le trafic croisière devait atteindre, au niveau mondial, 32 millions de passagers en 2020. Mais le Covid-19 a provoqué l’interruption de l’activité à l’échelle planétaire, mettant l’ensemble des parties prenantes en grande difficulté. Il est évident que l’impact de cet arrêt forcé est considérable, notamment pour les villes portuaires et les industries liées. Parmi les opérateurs de croisière, Carnival Corporation a annoncé un nouveau plan d’adaptation de sa flotte et va se séparer de 15 de ses paquebots. Les petites entreprises n’ont pas été épargnées. Le voyagiste allemand FTI Group a annoncé la fermeture de sa branche croisière (FTI Cruises) dans le cadre d’un vaste plan de restructuration. Dans la dernière étude de la CLIA, l’association professionnelle révèle que pour chaque jour d’interruption de l’activité croisière, les Etats-Unis accusent une perte de 110 millions USD et 800 emplois directs et indirects. Dans les pays où le tourisme représente la principale source de revenus des familles, ces chiffres peuvent avoir des conséquences sociales dramatiques.
Annulations et restrictions : dernière escale pour les croisières 2020
A mesure que la situation évolue, le calendrier de la reprise de la croisière est, dans la plupart des cas, sans cesse reporté. Aux Etats-Unis et au Canada, l’interdiction de croisières jusqu’à la fin de l’été et la prolongation du « no-sail order » émis par le centre américain de prévention et de contrôle des maladies (CDC) ont conduit la CLIA à annuler toutes les sorties en mer jusqu’à fin octobre, mettant un terme à la saison 2020 sur l’un des plus grands marchés de la croisière. Entre-temps, le CDC a lancé un appel au public pour le mettre à contribution sur l’orientation à donner à la santé publique ainsi que sur les mesures de prévention à appliquer aux navires de croisière. L’appel est ouvert jusqu’au 21 septembre.
En Europe, durant l’été, plusieurs acteurs des secteurs public et privé ont publié des orientations visant à aider à la reprise de l’activité croisière . Alors que chacun s’accorde à dire que la reprise doit se faire de manière progressive, l’ensemble des opérateurs doit garantir que les passagers et le personnel ne seront exposés à aucun risque sanitaire. Le 27 juillet, l’EMSA (Agence européenne pour la sécurité maritime) et l’ECDC (Centre européen de prévention et de contrôle des maladies) ont publié un document intitulé « Guidance on the gradual and safe resumption of operations of cruise ships in the European Union in relation to the COVID-19 pandemic » (Orientations concernant la reprise progressive et sûre de l’exploitation des navires de croisière dans l’Union européenne en relation avec la pandémie de COVID-19). Ces orientations officielles concernent les navires battant pavillon de l’UE/EEA effectuant des liaisons internationales ainsi que ceux faisant escale dans des ports de l’UE/EEA, indépendamment de leur pavillon. Elles ont pour but de faciliter une reprise sûre de l’exploitation des navires de croisière dans l’Union européenne, et contiennent pour ce faire des recommandations concernant les mesures minimales à mettre en place par toutes les parties concernées, tout en maintenant les normes générales existantes en matière de sécurité et de sûreté.
Un pari risqué en Méditerranée : redémarrer le trafic croisière
Concrètement, dans les zones touchées en premier par le Covid-19, comme la région méditerranéenne, certains pays ont décidé d’essayer de reprendre le trafic. La Grèce a réouvert six de ses ports aux bateaux de croisière : Le Pirée, Rhodes, Heraklion, Volos, Corfou et Katakolo. Les navires sont autorisés à faire escale dans chacun de ces ports après avoir obtenu une première autorisation dans l’un d’entre eux. En Italie, suite à la publication par le gouvernement d’un décret ad hoc en date du 31 juillet incluant les croisières dans le champ d’application des nouvelles règles concernant la propagation du coronavirus, le Comité scientifique et technique Covid-19 rédige, le 5 aout, un document destiné à garantir la reprise sûre de l’exploitation des navires de croisière à partir du protocole de sécurité établi par les ministres italiens de la Santé et des Transports et de l’infrastructure. Le gouvernement s’appuie sur ce document pour publier, en date du 7 aout, un autre décret ad hoc et donner, entre autres, le feu vert final à la reprise des croisières. Le 16 aout, le MSC Grandiosa, mis en rade dans le port de Gênes, est le premier navire de croisière à reprendre la mer, avec à son bord des passagers provenant uniquement de l’espace Schengen. Des escales sont prévues à Civitavecchia, Naples, Palerme et La Valette, après approbation par les autorités du protocole sanitaire et réouverture des ports aux bateaux de croisière . Costa a annoncé une première sortie post-confinement à partir du 6 septembre.
Dans d’autres pays, la plupart des grandes compagnies de croisières ont reporté leurs voyages au moins jusqu’au mois de septembre, et beaucoup les ont annulés. Les opérateurs comme Tui Cruises qui ont repris une activité le font sur un itinéraire spécifique et selon des modalités particulières, devenant une exception à la règle. Ailleurs, comme en Amérique du Sud, la situation reste incertaine en raison de nombreuses interdictions de voyager, de la mise en quarantaine des visiteurs étrangers et de la multiplicité des règles de sécurité. Ainsi, au Chili, les opérateurs ont d’ores et déjà tiré un trait sur la saison 2020. Dans une telle situation, les sous-secteurs comme les croisières fluviales jouissent peut-être d’un avantage. En Europe, les bateaux de passagers circulent sur le Danube, le Rhin et le Main depuis le mois de juin, même s’ils le font en nombre limité et à une fréquence réduite. Un autre exemple est celui de CroisiEurope qui effectue des croisières sur la Seine depuis mi-juillet.
La situation dans les ports des 3 pays étudiés
Italie – Ports de la Mer Tyrrhénienne du Nord (Livorno, Piombino et Portoferraio)
En ce qui concerne le trafic croisières, les ports de la Mer Tyrrhénienne du Nord n’ont pas eu d’escales pendant la pandémie et la reprise à partir de moitié août par MSC et de septembre par Costa ne concerne aucun des ports mentionnés, à l’heure actuelle. Les réservations des autres compagnies pour l’automne sont encore ouvertes, à l’heure où l’on écrit ces lignes : pour Livourne, par exemple, 21 escales jusqu’en décembre, pour les autres ports une trentaine en tout. Pourtant, plusieurs signes font penser que vraisemblablement le trafic croisières des ports du système de la Mer Tyrrhénienne du Nord, comme celui des autres ports analysés dans cet article, ne sera pas restauré avant 2021. Les prévisions les plus optimistes estiment le retour du trafic à l’automne, tandis que les plus pessimistes parlent plutôt de début 2021. Dans les deux cas, la perte économique de cette situation s’étale sur trois niveaux: celle de passagers, celle des équipages et celle relative aux services, aussi bien techniques et nautiques que d’accueil aux passagers.
Entre janvier et mars 2020 Livourne avait eu seulement 9 escales, avec 18.459 passagers, et Piombino et Portoferraio aucune escale . En comparant avec les chiffres de 2019 , on réalise facilement l’énorme perte que les ports du système, de même que tous les ports de croisières, ont subie.
Image symbolique, l’immobilisation imposée à deux navires accueillis en lay-up (escale technique) : le Costa Diadema, au port de Piombino du 29 mars au 4 juin, avec 1255 passagers et tous ses membres d’équipage, dont quelques-uns atteints par le virus, et le Seven Sea Voyager au port de Livourne depuis fin mai, avec 108 passagers « COVID free », comme on appelle les passagers non atteints. Ces images sont négatives car elles rappellent brutalement la réalité de la pandémie. Mais elles sont positives pour Piombino, par exemple, comme pour d’autres villes portuaires qui ont un trafic croisière minime et qui ont été moins affectées.
France – Bordeaux
Aucune escale en France jusqu’à mi-juillet 2020 avec l’impact que l’on imagine sur l’ensemble des ports et destinations concernés. Le Port de Bordeaux devait accueillir sur l’ensemble de ses sites, et principalement sur celui de Bordeaux centre-ville, une saison record entre avril et octobre 2020 avec 65 paquebots pour près de 50 000 passagers pour les croisières maritimes. A Bordeaux, nous accueillons des passagers de plus de 80 nationalités, mais 40 % des passagers sont américains, 25 % Anglais et 20 % allemands.
L’évolution de la pandémie, surtout aux USA, la récente quarantaine imposée par le Royaume-Uni ne permettent pas d’envisager de sauver la fin de saison. Une des rares notes positives est venue de la compagnie Ponant, qui a pu mettre en place un programme de croisières d’été en France, au départ de certains ports français (dont Bordeaux) avec un protocole très strict et un nombre de passagers très limité. Bien que la nouvelle réglementation autorise 250 passagers, le Ponant n’en embarque que 80 chaque samedi pour un programme côtier. L’impact du Covid 19 s’étend également aux croisières fluviales. Habituellement, les 5 compagnies proposant des croisières dans l’estuaire de la Garonne/Dordogne/Gironde, auraient 28 000 passagers par an, principalement américains, britanniques et australiens. Compte tenu des limitations des voyages, ces activités ont également été fortement touchées. L’une de ces compagnies, Croisieurope, a mis à disposition son navire Cyrano de Bergerac pour accueillir le personnel soignant pendant le confinement. Plus tard, à la mi-août, ce navire a repris ses activités à Bordeaux, mais tous les autres navires sont restés à l’arrêt.
Maroc – Tanger
Dans le cas de ce pays d’Afrique du Nord, la Direction de la Marine Marchande a décidé de suspendre temporairement à partir du 12 Mars dernier l’accès aux ports marocains pour les navires de croisière, plaisance et de passagers. L’impact économique a évidemment été important. C’est le prix à payer pour une limitation efficace de la propagation du virus au Maroc. Arrêt complet du secteur du tourisme. Des premiers chiffres émanant de l’Office Marocain du Tourisme parlaient d’un secteur pratiquement à l’arrêt en avançant des diminutions à la mesure de cette crise sans précédent, avec un nombre de « bookers » qui s’était effondré au 1er Avril 2020 de – 98% par rapport à l’année précédente.
Une situation dramatique que la ville de Tanger et en particulier le Port de Tanger Ville, un des principaux acteurs du flux touristique régional ont ressenti en termes de chiffre d’affaires. L’année 2020 aurait été pour plusieurs motifs une très bonne année pour la croisière, avec un trend de croissance positif grâce au début de nouvelles programmations et à une augmentation prévue du nombre de croisiéristes de 31,3% par rapport à l’année précédente.
Réponses et mesures pour la reprise des croisières dans les villes portuaires
Le sentiment le plus partagé aujourd’hui dans le monde est celui de l’incertitude. Alors que les opérateurs de croisières ne cessaient de reporter la date de leur retour et que plusieurs d’entre elles avaient tiré un trait sur la saison estivale, la nécessité de réagir pour relancer l’économie s’est fait ressentir.
Réactions locales à un problème global: exemples tyrrhéniens et canariens
Les pouvoirs locaux et régionaux des régions touristiques ont également réagi. Sous la menace d’un chômage massif dans le secteur, certains gouvernements, comme ceux des îles Canaries en Espagne, ont proposé de nouvelles mesures. Les Ports de Las Palmas et de Santa Cruz de Tenerife, parmi d’autres, se sont donc associés pour établir un comité technique chargé de créer un corridor maritime sûr pour le redémarrage des croisières. Ce comité va coordonner un protocole sanitaire incluant des mesures comme la souscription d’une assurance santé obligatoire pour les compagnies de croisières qui couvrira l’ensemble des éventuelles dépenses de santé des passagers infectés par le covid-19, l’obligation de réduire la capacité de charge (60-70% maximum), la présence d’un personnel médical renforcé à bord, la mise en place d’un protocole de suivi et la désinfection des bateaux après chaque traversée.
La question principale reste la coordination des différentes initiatives à plus grande échelle. Si l’objectif est de relancer le secteur, y compris sur les itinéraires classiques, il est nécessaire d’harmoniser les différentes mesures imposées aux échelles locales ou régionales. Sinon, l’incertitude va perdurer et renforcer le sentiment d’insécurité des compagnies, des voyageurs et des habitants des villes portuaires.
Les ports du système portuaire de la Mer Tyrrhénienne du Nord ont non seulement étudié des mesures pour prévenir et réagir à la pandémie de COVID, mais aussi, pendant l’été, se sont entraînés grâce à la reprise du trafic ferries et aujourd’hui ils sont prêts à relancer les croisières . Ces mesures se sont focalisées à la fois sur les travailleurs et sur les usagers des ports, sachant que le terminal passagers de Livourne est géré par une société privée, Porto di Livorno 2000, tandis que dans les autres ports du système le trafic passagers sont directement gérés par l’Autorité Portuaire. Les mesures et la réglementation sont différentes, même si une coordination est faite entre tous les acteurs institutionnels du secteur, notamment ceux concernés par la sûreté et la sécurité (safety et security).
La sécurité sanitaire avant tout – pour les équipages aussi
En ce qui concerne les usagers des ports, des mesures et une réglementation ont commencé à être mises en place aux ports de Piombino et de Portoferraio, en raison de la continuité du trafic passagers pendant la période de la pandémie. A Livourne aussi l’organisation de la reprise du trafic passagers ferries pour la Sardaigne et pour la Corse (respectivement début et moitié juin) a entraîné l’édiction d’une réglementation. Suite au Décret du Président du Conseil des Ministres du 17 mai (DPCM 17 maggio 2020), un Plan de prévention et de protection (PPP) avec des lignes directrices pour le trafic passagers entre Piombino, Portoferraio, Rio Marina et Cavo a été présenté début juin par l’Autorité du Système Portuaire . Un peu plus tard, à Livourne, suite à une réunion des services, qui a eu lieu le 17 juin entre la Région Toscane, la Municipalité de Livorno, la Capitainerie de port, le bureau de la Santé Maritime et la société Porto di Livorno 2000, un protocole de prévention pour la zone portuaire a été aussi défini . A partir de ce document, l’Autorité du Système Portuaire a émis un document focalisé sur Livourne contenant les lignes directrices et les mesures générales. La société Porto di Livorno 2000, à son tour, a produit un protocole spécifique relatif aux passagers ferries . Concernant les croisiéristes, des lignes directrices spécifiques seront élaborées en collaboration avec les autres terminaux et acteurs du secteur italiens.
Il est clair que si les ports veulent relancer la croisière, activité impliquant un grand nombre d’acteur, cela ne sera possible qu’en suivant strictement les mesures et protocoles sanitaires nationaux ou internationaux. Dans le cas de Bordeaux, les nouvelles installations du Médoc sont déjà préparées à de nouvelles règles post-Covid. Bien que le calendrier des croisières pour 2021 n’ait pas été modifié pour l’instant, tout dépendra de la situation fin 2020 et début 2021, et de la capacité financière des entreprises du secteur. Pour le moment, les experts s’attendent à un retour à la normale en 2023, mais l’espoir demeure que les destinations perçues comme « sûres », avec des protocoles sanitaires sérieux, puissent regagner la confiance des compagnies et des passagers et se rétablir plus tôt.
Objectif : continuité de l’activité !
Évidemment, la situation est dramatique hors d’Europe aussi. Au Maroc, par exemple, les mesures strictes de distanciation sociale, comme dans tous les autres pays, ont gravement affecté la vie quotidienne et, notamment, toutes les activités touristiques. L’assouplissement de ces mesures strictes se fait sur la base d’une évaluation de la situation dans chaque préfecture et chaque province, avec des commissions incluant le ministère de la santé, les gouverneurs et les Walis. Dans le cas concret du port de Tanger Ville, pendant la période d’interruption des activités portuaires, l’organisation a travaillé sur trois niveaux. Pour la gestion, elle a mis en place une cellule de crise afin de minimiser l’impact de la crise, en établissant un contact direct avec les autorités compétentes pour reprendre les activités dès que possible. L’entreprise a également élaboré un plan de continuité des activités (PCA) comportant toutes les mesures nécessaires pour lutter contre une éventuelle propagation du virus et pour analyser les risques liés à l’accueil des passagers. En termes d’infrastructures, tous les projets de la zone portuaire ont été respectés : aménagement des places publiques, agrandissement de l’avenue menant au Port, achèvement des travaux du 2ème bassin. En matière de communication, le Port de Tanger Ville a établi des contacts avec tous les acteurs concernés du secteur, y compris les ports et les compagnies de croisière.
Opportunités pour repenser la relation croisière – ville – citoyen
Les gouvernements du monde entier s’empressent d’adopter des trains de mesures pour relancer leur économie, au détriment de la dette publique. Les investissements publics, notamment en infrastructures, apparaissent comme un très bon vecteur pour relancer l’économie, réduire l’impact de la crise et mettre en œuvre les objectifs du pacte vert. Ils peuvent être le moyen d’accélérer le processus de transformation des installations portuaires et de réduire l’impact environnemental des croisières. Le développement du courant de quai était déjà en cours dans de nombreux grands ports. Il faut maintenant intensifier cette transformation et obliger le secteur à s’adapter.
Repenser les échelles de la croisière : la taille compte !
Un autre défi majeur est la taille des navires de croisière et le nombre de passagers à bord. Avant le covid-19, parler de Limitation relevait presque du tabou dans le secteur, même si des villes portuaires comme Dubrovnik avaient déjà commencé à la mettre en œuvre. Il est temps d’envisager de nouveaux systèmes qui permettent d’améliorer la gestion des escales, en particulier dans les villes portuaires dont l’équilibre social et environnemental est fragile. Le redémarrage de l’activité nous donne l’occasion d’en discuter et de voir quelles sont les limites à ne pas dépasser pour nos villes. Comme nous l’avons vu, la grande taille des navires, qui procure une économie d’échelle, pose problème à bon nombre de villes portuaires. Déjà avant la pandémie, plusieurs ports s’étaient associés pour faire pression sur le secteur.
En 2019, le Port de Venise a lancé l’Appel à projets « Croisières 2030 », en coopération avec huit ports de croisières européens, en vue de mettre au point des stratégies communes pour des croisières durables. Le débat s’est poursuivi en 2020, centré sur les combustibles plus propres, le courant de quai, mais également sur le problème de la taille des navires (la création d’une classe de navires « Europax », plus adaptée à l’échelle des ports maritimes européens, a même été proposée).
Le tourisme de demain sera équilibré – ou ne sera pas
Une occasion s’offre à nous : repenser le tourisme et déterminer l’intensité touristique qui convient à nos villes portuaires et à nos côtes. Avant la pandémie, la concentration des visiteurs dans certains ports ou quartiers spécifiques de villes portuaires était une problématique majeure. Comme indiqué plus haut, il y a un énorme contraste entre le surtourisme qui s’impose à certaines destinations et la concurrence à laquelle se livrent d’autres, pour attirer les croisiéristes. La nécessité d’établir des protocoles sanitaires communs et adaptés à l’ensemble des destinations d’un même itinéraire est fondamentale pour améliorer la coordination entre les ports si l’on souhaite lisser la fréquentation des ports d’escale.
Les cas extrêmes où débarquent simultanément des dizaines de milliers de passagers ont contribué à donner une mauvaise image à la croisière. Une image qui s’impose également dans des endroits où la fréquentation touristique n’est pas massive. Cependant, elles restent l’image d’un surtourisme, alors que certaines des retombées positives n’ont pas autant de visibilité. Le principal enjeu consiste dans ce cas à améliorer la communication et la coordination de tous les acteurs. Les villes, les autorités portuaires et les entreprises doivent collaborer plus étroitement sur ces questions. L’un des aspects clés, mis en avant pendant la phase critique de la crise, et d’autant plus essentiel aujourd’hui pour relancer le trafic, est l’importance de la communication, entre acteurs du secteur et autorités, mais aussi avec les usagers et les citoyens. La communication sera cruciale pour la reprise, avec la nécessité de lancer des campagnes pour rassurer les marchés, les villes et les citoyens. Les organisations internationales joueront un rôle essentiel pour rétablir la confiance entre tous les acteurs de l’écosystème du secteur croisière.
Un waterfront écologique dans les villes touristiques
Pour l’aménagement du waterfront urbain comme à Tanger Ville, l’objectif sera de concilier les axes de développement durable contenus dans le plan d’aménagement initial avec la relance de l’activité croisière. Par exemple, en adoptant des mesures qui fonctionnent ailleurs, comme la réutilisation des matériaux issus de la démolition, la réutilisation du sable de dragage et la surveillance de la qualité de l’eau et des sédiments. En ce qui concerne les activités de croisière, l’objectif est de respecter le calendrier des escales, comme cela a été fait jusqu’à présent, avec des paquebots de petites et moyennes dimensions. C’est indispensable pour gérer le flux de passagers d’une manière optimale. Le plan prévoit également des investissements dans la mobilité durable pour les croisiéristes, avec par exemple un téléphérique. Il facilitera la circulation entre le Port et les marinas, le centre-ville et la Médina (vieille ville), et constitue un mode de transport écologique pour tous les croisiéristes qui souhaitent admirer la baie de Tanger. Ce sera aussi une façon ludique de desservir les lieux touristiques de la ville.
En conclusion
La pandémie de Covid-19 a révélé de nombreuses faiblesses, à différents échelon. Des failles au niveau décisionnel ont été mises en lumière, que ce soit au niveau local, national ou international. Le temps de pallier à ces erreurs, les bonnes décisions ont tardé à être prises, ce qui a une propagation rapide du virus au printemps. La confusion était grandissante au cours de cette période, et des signaux contradictoires ont été souvent envoyés. Face à tant d’incertitudes, la population a développé une certaine méfiance. Les images-chocs de navires bondés refoulés de ports en ports, à la recherche d’un endroit où accoster, est venu assombrir la réputation du secteur croisière, en plus des polémiques liées au surtourisme qui se faisaient entendre depuis quelques temps. Le battage médiatique international, sur tous les canaux (presse web et papier, tv, radio, séminaires, …) n’a fait que renforcer les inquiétudes.
Incertitude globale : la croisière ne s’amuse plus ?
Aujourd’hui, l’incertitude persiste : malgré les recherches scientifiques en cours, nous ne savons pas combien de temps le virus va continuer à affecter notre vie quotidienne. A court et à moyen terme, dépistages et restrictions sanitaires restent la règle, et c’est à nous d’adapter nos vies professionnelles et personnelles. Les gouvernements nationaux pourraient très bien décider de maintenir les limitations sur la mobilité internationale et sur la circulation aux frontières. On a d’ailleurs assisté au cours de l’été au retour du tourisme de proximité, à une échelle nationale voire régionale.
Dans cette période complexe, il sera donc difficile d’établir des plans à long terme, en particulier pour le secteur croisière qui, selon la plupart des acteurs, aura besoin de deux à trois ans pour relancer sa dynamique . Cependant, si on veut tirer une leçon positive de la pandémie, il faut la voir comme une opportunité pour accélérer la transformation du secteur, et surtout comme une occasion de repenser la relation croisière-ville-citoyen. Avant le Covid-19, nous considérions généralement qu’il était impossible « d’inverser la vapeur » et d’impulser les changements nécessaires pour réorienter le secteur vers un nouveau modèle.
Cette occasion nous est donnée en ce moment-même, car le secteur a été forcé d’interrompre toutes ses activités, et il s’apprête à redémarrer dans les prochains mois. Il est donc essentiel d’inventer de nouvelles manières d’accueillir les croisières dans les villes portuaires, d’une manière plus durable, en tirant des leçons de la crise actuelle. Nous devrons aussi mettre en œuvre ces changements pour lesquels nous avions toujours rechigné, en ne les considérant pas comme suffisamment importants pour « ralentir le moteur ».
Le retour des croisières d’avant n’aura peut-être pas lieu
Nous avons vu, au début de cet article, que le besoin de renouvellement du secteur existait déjà avant la crise du Covid-19. Aujourd’hui, si la priorité est de lutter contre la propagation du virus à bord des navires et en ville, nous ne devons pas nous arrêter de réfléchir aux solutions innovantes pour rendre le secteur plus durable et plus vivable pour les habitants des villes portuaires.
La réflexion sur le waterfront pourrait par exemple revenir en force, en promouvant la mixité des fonctions dans les terminaux passagers, où les services aux croisiéristes (commerces, cafés, restaurants, etc.) pourraient être aussi destinés aux habitants. Ces mesures sont autant de solutions pour faire face aux enjeux sociétaux posés par la crise du secteur croisière.
Viser plus loin que la pandémie : que la croisière collabore avec les territoires
La première étape de ce processus exigeant consiste à renforcer la coopération sur les procédures sanitaires et sur la lutte contre le Covid-19, afin de réussir à créer des standards internationaux (des normes applicables dans tous les pays), ce qui faciliterait la reprise des activités pour les compagnies de croisières. Mais pour atteindre une véritable efficacité, il faut viser plus loin de la pandémie. La communication, souvent absente ces derniers mois, sera essentielle pour la collaboration entre les acteurs, mais aussi en tant qu’outil de mobilisation de toutes les parties-prenantes. C’est un enjeu majeur pour inciter les clients à revenir, mais aussi pour recueillir le consentement des citoyens. Comme cela a été affirmé à maints reprises, la question n’est pas de savoir si « on veut ou on ne veut pas des croisières », mais plutôt de faire en sorte que les croisières collaborent avec le territoire et promeuvent un tourisme plus respectueux de l’environnement, des villes portuaires d’escale et de leurs habitants.